20 août 2014


  " A l'encre russe " de Tatiana de Rosnay 8/20


" L'enveloppe " a valu au jeune romancier Nicolas Kolt un succès international et une notoriété qui lui a fait prendre la grosse tête, ayant pour première sanction, le départ de sa compagne. Depuis, il continue de se noyer dans le strass et les paillettes, reposant indéfiniment l'écriture d'un nouvel ouvrage, d'ailleurs, l'inspiration l'a fui. Son éditrice s'interroge sur son jeune poulain, est-t-il en train de se perdre ?  Trois jours dans un hôtel de luxe sur une île près de la Toscane, en compagnie de la belle Malvina, devraient lui permettre de se ressaisir, mais la vie et ses propres démons ne lui feront pas de cadeaux.

J'aurais tant aimé aimer ce livre, mais ce huis-clos interminable (372 pages), ces secrets de famille pas vraiment résolus, ces rabâchages incessants de son incapacité à pouvoir écrire une ligne, en font un brouillamini bien indigeste.

Certes la description du milieu littéraire est sûrement juste, les relations d'un écrivain vedette avec sa famille et ses amis sont finement analysées, la mise en abyme de sa notoriété soudaine et de sa rançon corrosive, l'addiction de Nicolas aux réseaux sociaux sont bien rendues, l'hôtel, la mer, le ciel et la plage sont idylliques, mais je n'accroche pas ! Pourquoi ?

Parce qu'au final, même si on apprend par l'intermédiaire de flash-back l'origine russe du père du romancier, on ne sait rien de lui, de son véritable métier, de ses relations, de ses peurs, et pire : de sa mystérieuse disparition !

Quant à son grand-oncle, Nicolas extrapole une relation incestueuse avec sa grand-tante, sans la moindre preuve !

Parce que ressasser à longueur du roman l'impossibilité de Nicolas Kolt à se remettre au travail littéraire, lasse d'abord, puis nous fait prendre nous lecteurs, pour des demeurés.

Tout est fouillis, brouillon, nageant dans une opacité bien mystérieuse, où trop de scénarii sont possibles, alors pourquoi nous faire prendre un chemin plutôt qu'un autre puisque rien ne le justifie 

Dans ce globuleux amas bien indigeste, où est la vérité ?

Tatiana de Rosnay aurait-elle voulu volontairement brosser le début du parcours d'un jeune romancier à succès, en l'emmêlant dans les fils aléatoires de la vie, le laissant seul se dépatouiller d'une situation dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants, victime parfois volontaire ou pas de situations qui le dépasse, mais qu'il a quand même provoquées ?

Et puis, est-ce bien crédible de faire tomber sur la tête de notre pauvre écrivain, juste en trois jours, toutes les merdes possibles et imaginables ?  D'emblée, cet homme gorgé de vanité, donc peu sympathique, nous fait presque pitié, justement à cause de toutes ses galères, un comble !  D'ailleurs, en fin de roman, par un geste gratuit et chevaleresque, il se rachète une âme, une conscience et par la même : une inspiration fortuite.

Les inconditionnels de Tatiana de Rosnay applaudiront des deux mains, moi, objectivement, je pense qu'avec un ordonnancement différent du roman, et en allant au bout de toutes ses taches d'ombres, l'ouvrage aurait gagné en luminosité, mais ce n'est ici l'avis que d'un humble lecteur !



17 août 2014


 " Le legs d'Adam " d'Astrid Rosenfield 14/20.


Il s'appelait Adam, elle Anna, mais leur promesse d'une vie d'amour, fut rendue caduque par l'intransigeance d'un nabot hystérique, autrichien et moustachu.

Berlin 2004, au moment même où sa vie personnelle le plonge dans un grand désarroi, le jeune Edward Cohen, propriétaire d'une boutique branchée, tombe sur un cahier laissé par son grand-oncle Adam. 

Ce dernier a 18 ans en 1938, et lorsque sa famille s'apprête à quitter l'Allemagne pour se réfugier en Angleterre, il rencontre Anna, une jeune fille juive, qui incarne tout son idéal. Mais, bousculée par les méandres de cette époque trouble, Anna disparaît brutalement ! 

Adam n'hésite pas une seconde, il part à sa recherche en Pologne. Son éducation devant beaucoup à l'excentrique Edda Klingmann, sa grand-mère qui lui a enseigné qu'il ne faut jamais avoir peur de rien, fait de lui un rêveur, un romantique, qui, tel le chevalier Don Quichotte, soit, uniquement armé de son courage, s'engage dans une aventure des plus hasardeuses. Il devra changer d'identité, devenir rosiériste pour un dignitaire SS, puis entrer dans le ghetto de Varsovie pour sauver la vie de sa dulcinée (retour à l'oeuvre de Miguel de Cervantès). 

Plus de 60 ans plus tard, Edward découvre non seulement le récit de cet intriguant aïeul à qui une ressemblance physique très forte le lie, mais aussi la force inouïe du passé.

Astrid Rosenfield possède un indéniable sens du récit et trouve un judicieux équilibre entre légèreté de l'esprit et tragédie humaine. Elle nous livre une narration d'abord amusante et cocasse, pour ensuite nous immerger dans une époque asphyxiante, mais sans pathos excessif.

Beau personnage idéaliste ; Adam est un gentleman, un acharné de l'ultime preuve d'amour, qui ne négocie pas, qui se donne tout entier pour sauver celle qu'il est sûr d'aimer, sans être pour autant certain que la réciproque soit vraie.

Par contre, je ressens une grande frustration du peu de présence du personnage d'Anna, celle qui instille toute l'histoire n'y apparaît quasi pas, ou alors de façon subliminale, sanctionnée par la rigueur d'écriture de l'auteure. Quel dommage !

Volontairement, ce roman nous pose des questions de tout temps : 
Par amour, jusqu'où est-on prêt à aller ? Jusqu'à son propre sacrifice ? En effet quoi de plus beau, de plus noble, d'offrir sa vie à l'être aimé !
Une rencontre, cadeau du hasard, peut-elle changer ou bouleverser le cours d'une existence ?
Comment des hommes ont-ils pu, s'abstenant de toute humanité, commettre des actes si innommables sur d'autres hommes ?
Commence-t-on à écrire parce qu'il y a quelqu'un à qui l'on veut tout raconter ?

Entre malaise contemporain et parcours d'un jeune juif évoluant dans l'ère nazie, ce roman sous une apparence légère, esquisse puis griffe deux itinéraires aussi émouvants que déchirants.

Astrid Rosenfield compose une fiction solide, où chaque sacrifice sera salvateur ; offrande synonyme d'espoir, comme un message universel.


11 août 2014



" La mystérieuse Lady Dedlock " suivi de " Le choix d'Esther " , soit Bleak House tome 1 et 2, de Charles Dickens 14/20



En pleine période victorienne, au coeur de Londres, l'interminable affaire Jarndyce a déjà épuisé des générations de magistrats et n'est plus, bien souvent, qu'un sujet ironique de plaisanteries. Face aux lenteurs inimaginables et kafkaïennes de la procédure, Tom Jarndyce le plaignant, a d'ailleurs fini... par se suicider !

Son fils John, par sagesse, n'attends rien du procès, car trop de gens plus ou moins bien intentionnés y sont devenus fous et ruinés. Dans sa vaste propriété de Bleak House, il préfère pratiquer la philanthropie. C'est ainsi qu'il recueille les deux pupilles que les juges lui ont confiés, Ada et son cousin Richard, ainsi qu'Esther, une jeune orpheline dont il s'occupe comme de sa propre fille.

Dans son manoir du Lincolnshire, la belle et fière Honoria Dedlock s'ennuie ferme. Néanmoins, lors du décès d'un certain Nemo dans un galetas, son intérêt sera fortement éveillé, elle ira même jusqu'à se travestir pour enquêter. Le propriétaire du taudis en question, un vieil ivrogne analphabète, meurt à son tour,  parti en fumée sous la forme originale d'une combustion spontanée. Et quand pour finir, l'avocat de lady Dedlock se fait assassiner, le mystère de ces morts intrigantes atteint son paroxysme !

Qui se cache derrière ces troubles événements ?
Ont-ils un lien entre eux ?
Pourquoi lady Dedlock s'en inquiète-t-elle ?

D'emblée, comme beaucoup de classiques (avec ses 1142 pages), l'oeuvre s'avère résistante, épaisse, gluante, étoffée, autoritaire, brutale... mais si riche !   

Difficile de faire court devant le nombre foisonnant de thèmes aborder, disons que l'histoire débute par un procès l'affaire : " Jarndyce contre Jarndyce ", une sombre histoire d'héritage qui finira par être entièrement absorbé par les frais de succession. Le but ici est essentiellement de dénoncer le système judiciaire de l'époque victorienne avec ses déraisonnables et assommantes lenteurs, dont les "escargotages", outre la ruine des plaignants devant les frais engendrer par les reports et les recours, rend fou toutes les personnes qui de près ou de loin gravitent ou s'impliquent dans ce magma de procédures. D'ailleurs, l'avis lapidaire de Dickens tient en cette phrase " Le principe fondamental du système judiciaire anglais est de servir son propre intérêt ! ".

Outre cette partie justice égrenée tout au long du récit, c'est la voix de la jeune orpheline Esther qui nous entraîne à la rencontre de personnages tonitruants, émouvants ou passionnés. Elle nous précipitera dans un Londres âpre, assombri par le brouillard, plein de boue collante et de poussière chutant des bec de gaz et des premières usines annonçant l'entrée dans l'ère industrielle. Maints londonien sont des miséreux, vivants dans des bouges infâmes d'où s'échappent de méphitiques miasmes. Dickens en témoin de son temps veut dénoncer l’innommable, notamment par cette phrase qui dit tout sur la mort d'un adolescent miséreux ( L'une des pages les plus touchantes du roman) : " Il est mort ! Mort, votre majesté ! Mort, seigneurs et gentilshommes ! Mort, bons et révérends et mauvais révérends de tous les ordres ! Hommes et femmes dont le ciel a empli le coeur de compassion, il est mort! Et tous les jours il en meurt ainsi dans son entourage ".

Pas de doute, il y a du Victor Hugo dans le Charles Dickens et par réciprocité bien légitime : du Dickens dans l'Hugo !   Certes ils ont vécu à la même période, mais c'est leur profonde âme poétique et leur humanité viscéralement chevillées au corps qui font de ces deux grands écrivains, deux pointilleux descripteurs de leur époque, époque charnière d'un mode en mutation. Leur dénonciation d'une pauvreté abyssale, leur sensibilité aux idées nouvelles oscillant dans l’air du temps, en font deux frères d'écriture. Si vous aimez l'un, sans l'ombre d'un doute, l'autre vous conviendra.

Dickens, nous propose dans cette oeuvre une hétéroclite galerie de portraits où maints personnages truculents se succèdent d'un chapitre à l'autre : 

Parlons de ce tonitruant Mr Boythorn, une vraie force de la nature, scandant tout avec emphase, mais qui a pour unique compagnon, un tout petit canari jaune nichant dans sa tignasse, si fragile oiseau, aux antipodes de la carrure prodigieuse de son maître.

Et cette insouciante Mrs Jellyby, qui, dans un souci d'abnégation et de dévouement total, occupe tout son temps à favoriser l'exploitation de la culture du café en Afrique, par la population locale. Et par la même occasion l'éducation et l'exploitation de cette même population par l'heureux établissement de l’excédent de la population métropolitaine !
Mais cette excuse fallacieusement philanthropique cache un détachement absolu de sa pauvre progéniture, qui erre seule en haillon toute la journée, à la recherche de la moindre once d’intérêt de leur mère à leur égard !

Puis ce fat Mr Turveydrop, maître de danse vieillissant, fier de son élégance et de sa tournure, qui pour maintenir aux yeux de l'aristocratie sa dignité, n'hésite pas à faire trimer allègrement sa femme jusqu'à que mort s'en suive !  Puis le dévouement de son fils prend le relais de sa mère afin que cet homme, fashion-victime avant l'heure, puisse coûte que coûte garder malgré l'outrage du temps, son maintien, sa distinction et son raffinement devant le beau Monde !

Sans oublier l'épicurien Mr Skimpole, personnage le plus désarçonnant, qui a littéralement élevé en art de vie, le fait de ne donner de l'importance à strictement rien, et surtout pas à l'argent, c'est du moins ce qu'il rabâche dans toutes ses discussions. Car une seule chose retient son attention : " L'ART ", qu'il soit pictural, spirituel, musical ou végétal !   Heureusement qu'un généreux mécène, qui s'amuse de l'originalité du personnage, veille à ses frais d'intendance. Bref Mr Skimpole n'est qu'un grand enfant plein de candeur, trop heureux d'ignorer le rationnel, le prosaïque. A tel point que, quand juste après sa mort, en découvrant ses mémoires, on pourra lire à l'encontre de son bienfaiteur une phrase qui en laissera plus d'un pantois : " Jardnyce, comme la plupart des hommes que j'ai connus, est l’égoïsme incarné !!! "

Il y a aussi Mrs Snagsby, bien que significativement belle, elle empoisonne jour après jour sa vie par un indéfectible sentiment de jalousie envers son époux. Toutes les rencontres fortuites que fait son mari de la gente féminine sont pour elle autant de prétextes à exprimer ce vil ressenti, causant chez son homme une inquiétude perpétuelle. Obsédé par le fait de mettre involontairement en rage son épouse, Mr Snagsby ne vit plus qu'en état de tension permanente.

J'arrête ici mon énumération, mais sachez qu'il ne s'agit que de la face immergée de l'iceberg, à tel point, qu'au chapitre 21 page 393, croyant naïvement avoir fait le tour des personnages, surprise !  l'auteur en remet une couche avec 6 ou 7 nouveaux entrants !

Au départ, ce roman peut sembler dissolu, tel un grand kaléidoscope, car cela foisonne et pétille de partout, mais au fil des pages, les pièces éparses du puzzle finissent par s’imbriquer, révélant une harmonie parfaite.

L'ironie la fantaisie et l'humour, allègent ce mastodonte littéraire de bouffées d'air rassérénantes, j'en citerais juste un exemple : " Le coq de la laiterie entonne son chant matinal sans trop savoir pourquoi ! "

Coïncidence ou pas, je n'ai pu m'empêcher de faire un rapprochement entre le cacochyme personnage de Mr Smallweed, autant roublard qu'avare, et la célèbre poupée mécanique Olympia, héroïne des " Contes d'Hoffman " de Jacques Offenbach. Tous deux finissent leur dialogue en ressassant les mêmes mots jusqu'à tomber exsangues, avachis sur leur siège, attendant qu'une aimable main le secoue fortement pour l'un, ou lui remonte son ressort pour l'autre, afin de leur donner assez d'énergie pour reprendre leur discours interrompu.

Stupeur page 472 deuxième tome, un personnage passe très promptement devant mes yeux ahuris. Il s'agit d'un certain " Mickaël Jackson ! " Dickens aurait-il des talents de visionnaire ou d'anticipation ?  Car l'oeuvre fut écrite durant les années 1852/1853. Attention, ce sus-cité disparaît aussi vite qu'il est arrivé, une sorte d'homme subliminal, mais la surprise de ce nom m'interroge encore aujourd’hui ! Ou alors est-ce une coquille de la traduction ?  Mystère !

En vérité le titre de la première partie de l'oeuvre est fallacieux, diablement fallacieux, volontairement fallacieux !  Ah, quelle duperie Mr Dickens !   Il doit encore en jubiler de nous avoir joué ce tour pendable, puisque le titre de " La mystérieuse Mrs Dedlock " est un leurre qui n'a d'autre but que de nous faire oublier Esther. Or, c'est elle la femme du livre, c'est elle l'étincelle de componction,  de désintéressement, d'amour, qui transcende les pages, c'est elle le vecteur de ces feuillets, c'est elle l'ange de commisération qui émerge de ces monceaux de noirceur, bref, c'est elle le révélateur de nos misérables consciences.

En peu de mots ; une oeuvre dantesque, d'une richesse souvent méprisée aux vues de son grand âge. Peut-être souffrirez-vous un peu à en venir à bout, mais le souvenir que votre mémoire en gardera, restera fort et indélébile.