" Mon nom est Rouge " de Orhan Pamuk 12/20
Istanbul en cet hiver 1591 est sous la neige. Un cadavre jeté au fond d'un puits, les côtes écrasées et le crâne fracassé, nous raconte sa mauvaise rencontre. D'autant qu'il connaît bien son assassin et les raisons de son meurtre : une conspiration contre la culture, les traditions et la peinture de l'Empire Ottoman ! En effet, le sultan a commandé à son atelier de peinture un livre illustré de miniatures à la manière italienne, pour célébrer le millième anniversaire de l'Hégire. Ceci allant ouvertement à l'encontre de tout ce qui se faisait avant. Un parfum de scandale souffle dans l'ancienne Constantinople.
Je suis très partagé et dubitatif devant ce pavé de 736 pages, qui soyons honnêtes, est franchement trop bavard, pas trop érudit, non, mais absolument trop disert et volubile, avec des répétitions assommantes ne faisant pas avancer le propos ou si peu !
Néanmoins, le fond est bigrement intéressant : la peinture orientale, depuis l'Hégire et jusqu'à la fin du XVI ème siècle ne s'affichait sur aucun mur, le Coran l'interdisait, cela consistait à vouloir défier Allah par son outrecuidance. Cette peinture se limite à des miniatures peintes dans des livres d'histoires et de légendes, dans un rôle simplement ornemental et illustratif, sans aucune prétention. D'ailleurs elles ne sont jamais signées, sinon le sacrilège serait grand et la provocation châtiée de façon exemplaire, dans le meilleur des cas, par une punition se limitant à l'aveuglement du peintre, dans le pire... par la mort pure et simple ! On ne rigole pas avec l'art en Orient, car seul Allah est considéré comme un artiste, roi de la création. Franchement, qui oserait se comparer à lui ? Seul un occidental, un mécréant, un croisé, un européen peut se le permettre sans vergogne, mais un musulman humble de chez les humbles ? Cependant, par leurs voyages à Venise, les riches ottomans amateurs d'art se laissent imprégner, influencer par les perspectives, les nuances, les drapés, les portraits occidentaux. Parfois, ils ont la volonté subliminale de modifier légèrement la façon de peindre des musulmans qui ne produisent que des dessins naïfs, se référant plus à du coloriage sans la moindre nuance, fidèles au dogme musulman !
Naturellement, des parallèles avec les caricatures de Mahomet sont vite tirés, mais n'oublions pas que la parution de ce roman remonte à mars 2003. Comme si dans une intuition avant-gardiste, Orhan Pamuk voyait les islamistes musulmans se radicaliser de plus en plus.
Par ailleurs, le contexte historique me parait trop peu évoqué. Certes, par brides, on lit quelques paragraphes succincts se référant à l'Histoire, mais de façon si évanescente et si morcelée, que cela ne constitue aucune base solide et cognitive. Dommage !
Bien sûr, il y a une intrigue amoureuse et une enquête pour retrouver le double meurtrier. Bien sûr, l'interrogation sur l'obligation ou non du peintre d'avoir un style ou d'imiter les anciens maîtres est pertinente. Mais la dilution de ces sujets ou leur développement outrancier ne peuvent qu'exaspérer le lecteur lambda.
Par contre, le système de narration polyphonique est d'une grande réussite. Pensez, même un cadavre prend la parole ! Mais plus surprenant, Orhan Pamuk fait aussi parler l'argent, la mort, un cheval... et même le diable en personne : grand moment de littérature !
Et puis, l'évocation incessante de tableaux miniatures, sans pouvoir les contempler, frustre le lecteur. Un index imagé de toutes ces oeuvres aurait apporté énormément au visuel de ce livre qui parle constamment de couleurs, or l'écriture noire et blanche désappointe et stérilise le propos si disert.
Bref, un roman trop calorique, d'une très grande érudition. La partie thriller et la partie sentimentale ne servent qu'à mettre en valeur l'ébranlement de la peinture des maîtres musulmans devant l'arrivée de la peinture occidentale, d'une innovation inouïe et inévitablement choquante, pour la mentalité musulmane si soumise. Orhan Pamuk embrasse la complexité d'un monde passé, résonnant intelligemment avec le notre, avec une amplitude magistrale et une très très grande gourmandise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire