12 déc. 2016


" Charlotte "   de David Foenkinos   18/20


Charlotte Salomon naît en 1917 à Berlin dans une famille juive. Depuis le suicide de sa tante, sa mère est devenue très dépressive, au point qu'un jour, elle avale un flacon d'opium avant de sauter par la fenêtre, Charlotte n'a que 9 ans, on lui raconte que c'est la maladie qui a emporté sa mère. Dès lors, Charlotte devra apprendre la solitude face à un père médecin, consacrant toute sa vie à son travail. Adolescente introvertie, Charlotte se libère dans le dessin, puis vite la peinture prend le relais, comme un besoin fondamental. Son père se remarie avec la célèbre chanteuse lyrique, Paula Lindberg, dont le professeur de chant nommé Alfred Wolfsohn, fera prendre conscience à Charlotte que son travail artistique est remarquable, et qu'elle doit persévérer. Charlotte tombera vite amoureuse de ce personnage ombrageux et insociable.

Mais nous sommes en 1933, et la haine accède au pouvoir : les juifs sont mis aux bans de la société. Sur les conseils d'Alfred, de Paula et de son père, Charlotte partira en France, retrouver ses grands-parents. Mais sa grand-mère se suicide à son tour. Son grand-père lui avouera alors la terrible vérité sur le décès de sa mère. C'est une fatalité dans la famille, toute les femmes finissent par se donner la mort, d'ailleurs si Charlotte s'appelle ainsi, c'est en référence à sa tante Charlotte, suicidée à 18 ans.

D'autres épreuves, plus éprouvantes les unes que les autres, ne manqueront pas de se cristalliser dans sa vie, comme un poids de plus en plus lourd à supporter. Afin de contrer le désespoir d'une grave crise existentielle, elle se lancera dans une série d’œuvres picturales retraçant sa propre histoire, pour conjurer ce mauvais sort. Cette résilience à peine menée à bout, déjà l'ombre noire du nazisme finira par grandir inéluctablement, puis par l'absorber dans sa sépulcrale spirale. Dès lors le parcours de Charlotte ne pourra être qu'une succession d'étapes, toutes funèbres et désespérément macabres.

David Foenkinos accouche d'un texte magnifique de concision, de poésie et de noirceur. Inspirée de la vraie vie de cette artiste peintre allemande assassinée à 26 ans, l'auteur aura dû faire face à une longue période de maturation avant de se lancer dans ce projet ambitieux.

Il y des livres sombres, que j'ai pu lire sans qu'ils ne m'attristent plus que cela, mais celui-ci est un choc, qui persiste longtemps encore après sa lecture, en vérité inoubliable puisque atypique. L'agencement du texte y est pour quelque chose, en effet, ces phrases courtes concluent par un point, avant de revenir systématiquement en début de ligne, ralentissent le rythme de lecture, mettent en exergue chacune d'elles, leur donnent intrinsèquement plus de poids, dilatant ainsi leur sens et leur puissance. D'où cette impression subliminale d'une longue poésie, d'autant que l'écrivain manie les mots avec une rare dextérité, dans cette écriture inspirée et vibrante d'émotion. Impossible dès lors de ne pas être touché dans son corps et dans son âme par ce roman original, mais dans le bon sens du terme.

David Foenkinos mêle à la narration pure ses démarches d'enquêteur de terrain pour s'imprégner des lieux où vécut Charlotte, donnant à l'histoire une véracité supplémentaire. D'ailleurs, après avoir refermé la dernière page, l'envie est forte de découvrir les peintures de l'artiste, comme un besoin de continuer le voyage, de mettre des images sur les maux.

David Foenkinos réussi l'évocation du destin tragique d'une artiste puissamment habitée par l'art pictural. Donnant grâce à sa façon d'écrire une aura, une envergure additionnelle au tragique du récit. Sans doute son roman le plus noir, mais son meilleur roman, d'ailleurs en cette année 2014, il fut couronné du Renaudot et du Goncourt des lycéens.

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