28 févr. 2017


" Le nouveau nom "  de Elena Ferrante
L'amie prodigieuse II   18/20


La romancière italienne poursuit son épopée intime et collective dans le Naples de l'après-guerre avec ce deuxième tome. C'est avec bonheur que l'on retrouve ces deux amies d'enfance, Lila et Elena, liées par une amitié toujours fusionnelle, parfois fiévreuse, mais hélas, de temps en temps toxique.

Avant d'aller plus loin, je dois revenir sur ma critique, disons... en demi-teinte, du premier opus de cette saga (publié le 9/4/2016). Je le constate et le confesse, pris dans la frénésie de la vie, il y a des livres que l'on lit malheureusement trop vite, sans prendre le temps de s'y impliquer vraiment. Celui-ci en a fait parti. Après 50 pages de lecture du tome II, frustré par un manque de repères, je me suis replongé dans la lecture du premier tome. Et là, j'ai revu à la hausse ma première considération. Une autre dimension est apparue, ample, généreuse et tragique, élevant sans frein mon estime pour le tome I, trop vite jaugé et donc mal jugé. Mea-culpa.

C'est donc un vrai plaisir de retourner dans ce quartier pauvre de Naples, des années 60, en compagnie de ses habitants suant eau et sang, s'ingéniant à vivre dignement dans cet univers d'usuriers, de privations, de violence, de marchés noirs et de combats politiques, où règne, en filigrane, la loi de la Camorra. Certains, peu regardant, se compromettront pour accéder à un confort basique, d'autres, dont certains communistes fervents, sauront se garder de toute corruption et accepteront une misère inévitable, certes, mais dans une parfaite dignité. Naturellement, l'amour jettera sur ce monde plus ou moins interlope, ses flèches passionnées, puis assassines, perturbant avec fracas le relationnel de ce quartier. 

Elena Ferrante excelle dans la vision d'une époque (qu'elle ne peut qu'avoir vécue), dans l'expression des sentiments et dans sa clairvoyance des rapports familiaux. Avec habileté, elle tisse un à un les fils affectifs de sa toile pour aboutir à une symphonie d'émotions toutes partant d'un point central, Lila, l'atypique, l'insoumise. A la fois dieu et démon, elle tient presque en son pouvoir, où sous son aura, une grande partie de la destinée de toutes les personnes qui gravitent autour d'elle. Elle influe leurs agissements, elle oriente les pensées, elle agrandit le cadre des possibilités, bref, elle règne en cheffe, en démiurge féminin sur son petit monde. Car Lila bouillonne intérieurement, lésée d'une naissance qui ne pourra lui apporter que frustrations, d'autant que ses parents lui excluent toute possibilité de poursuivre ses études. Alors, pour tenter d'exister, elle doit élargir son horizon, inventer sa vie en permanence, en ne s'encombrant, surtout pas, des conséquences. Elle expérimente, elle vit tout dans l'absolu, dans la détermination, la passion, sacrifiant sa vie sur l'autel de la liberté. De plus, elle possède un charisme, un regard qui ensorcellent tous les hommes qui s'en approchent, allumant moult désirs... voire d'aliénations. 

Elena devra, comme dans le tome I, beaucoup à l'ascendance de Lila sur elle, en premier lieu sa réussite scolaire, la poussant jusqu'à de hautes études littéraires. Les deux amies verront, au cours des années, leur destin s'entremêler de nombreuses fois au fil des amours évanouis, des grossesses imprévues, des conflits inévitables, des trahisons surprises et des espoirs inouïs. Deux vies constamment en mouvements et contraintes sous les affres de la jalousie, de la concupiscence, de la chair, de la réussite sociale, d'idées philosophiques, de combats politiques, bref, de l'invention de soi ! Lila et Elena, si rivales soient-elles, sont avant tout condamnées, avec leurs propres armes, à surmonter l'arbitraire de leur condition commune. Dotées d'une volonté de fer, elles sauront avec les détours des hasards de la vie s'ouvrir des portes inespérées par leur naissance.

Naturellement, des protagonistes apparaissant en filigrane dans le tome I, prennent ici leur ampleur, déployant des ailes dont l'ombre portée ne sera pas sans répercutions, tel un engrenage coercitif.

La sensibilité du style d'Elena Ferrante, la fluidité de son l'écriture, coulant comme un fleuve pas si tranquille que cela, emporte son lectorat dans une douce euphorie émouvante et opaque. Puis, ses connaissances profondes du sujet font de ce récit un portrait à la fois touchant, fragile et féroce d'un pays qui se cherche. Toujours sous l'influence des drames de la seconde guerre mondiale, cette nation hésite entre deux futurs politiques, mais où la morale et la dignité sont trop souvent à vendre.

En conclusion, c'est un roman ample, sensible et intelligent qui nous emmène loin de notre vie. De plus, il nous interroge sur notre vie, nos sacrifices, notre droiture et nos devoirs, avec cette question fondamentale en forme d'épée de Damoclès : Combien ça coûte l'ascenseur social ?



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