27 juin 2017


" Un fond de vérité "   de Zygmunt Miloszewski   17/20


      Sandomierz, tranquille bourgade de la province polonaise, considérée par les polonais comme la plus belle ville du pays au point de paraître quasi italienne, de Toscane plus précisément. Dans ce joyau de l'Europe du nord, un crime sordide vient d'y être commis : une jeune notable est découverte nue et égorgée, suivant le rituel de l'abattage casher, au pied de l'ancienne synagogue. L'acte odieux réveille d'ancestrales croyances parmi la population, notamment celle qui raconte que les Juifs enlèvent les enfants catholiques pour les vider de leur sang afin de fabriquer du pain azyme. Décidément, les vieux démons ont la vie dure, même dans cette si belle région

      Arrivé depuis peu de Varsovie, le procureur Teodore Szacki devra séparer le bon grain de l'ivraie, pour avoir une chance de dénicher la vérité, dans ce pays pétri de traditions séculaires et de croyances nauséeuses.

      Avec une maestria remarquable, Zygmunt Miloszewski nous délivre un polar admirablement construit, sachant faire fusionner des évocations historiques, la Pologne regorge ô combien de ces pogroms terrifiants et inexcusables, et leur écho dans une société polonaise qui se veut moderne, mais qui vit toujours avec les fantômes d'un passé bien loin d'être enterré. D'autant que même l'art s'en mêle, avec ce tableau datant du XVIII ème et découvert en 2014 dans la basilique de Sandomierz, signé Charles de Prévôt, il représente des Juifs achetant des enfants et les assassinant en donnant des morceaux aux chiens. Allez après cela faire croire aux polonais qu'il n'existe aucun fond de vérité ! Une gageure quand des générations de polonais ont été éduqués dans la peur viscérale du juif.
      D'ailleurs actuellement, en plein coeur de Varsovie, des groupes xénophobes et antisémites vêtus de noir défilent avec l'autorisation des autorités locales. L'Europe, qui n'a pas l'air de s'en émouvoir plus que cela, en aura-t-elle fini un jour avec ces démons obscènes,
ces spectres infâmes du siècle dernier ?
     Zygmunt Miloszewski n'hésite aucunement à mettre le débat sur la table en dénonçant ces mentalités moyenâgeuses, il s'en prend aussi aux journalistes avides de sensationnalisme, ne reculant devant aucune outrance, et toujours prêts à inventer des faits quand ils n'existent pas ou se font rares.

      La plume de Zygmunt Miloszewski est tout sauf insipide, parfois trempée dans l'acide, parfois dans l'intime, elle ose, elle provoque, à la fois piquante et douce, elle bouscule les consciences, renverse les superstitions et asticote les croyances, sans tenir compte de la ligne rouge de certains bien-penseurs. Comme dirait Albert Londres, ce romancier porte la plume dans la plaie. De plus un humour caustique, une galerie de personnages secondaires crédibles, une maîtrise des codes du genre, une trame bien ficelée, un bel engrenage des situations accréditées autour de faits historiques pertinents, articulent le roman, au point de devenir un vrai grand polar, glaçant à souhait.
      Seul petit bémol, la multiplicité des personnages aux noms tellement alambiqués et méchamment similaires, puisque polonais (Maciejewski, Myszynski ou Miszczyk), qu'il faut bien rester concentré si on ne veut pas se mêler les pinceaux, et perdre stupidement quelques portions de ce captivant et goutteux polar.

      Tout en mettant l'accent, et quel accent, sur le spectre endémique de l'antisémitisme de la société catholique polonaise, Zygmunt Miloszewski signe là un livre qui donne envie d'aller baguenauder dans les ruelles du vieux Sandomierz, cette perle de Pologne injustement méconnue.



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