17 sept. 2017

" Le coeur est un chasseur solitaire "   de Carson McCullers 12/20

      A la fin des années 30, dans une ville du sud des Etats-Unis, une poignée de personnages nous raconte leur vie dans un quartier où règnent la misère sociale, le chômage, l'amère inégalité et le racisme. Blancs ou noirs, jeunes ou vieux, ils se considèrent comme des laissés pour compte, des marginaux envisageant un début de révolte. Mais il y a peu d'espoir de voir un jour les choses s'améliorer. Ainsi les jours se suivent entre gris-clair et gris-foncé, dans une apathie presque atavique, une nonchalance singulière des états du Sud.

      Paradoxalement à ce titre poétique, le roman dénonce toute la violence du monde, brisant toujours en priorité les plus fragiles, les plus faibles, les plus pauvres, dans l’incapacité de se défendre devant la voracité des établis ou des plus opportunistes. D'autant que le pays louche sur l'Europe où une guerre mondiale se prépare.

      Chaque chapitre nous fait découvrir les protagonistes essentiels de l'histoire, il y a John Singer, un sourd et muet qui verra une foule de personnes se confier à lui, comme s'il était le confident ou le psychanalyste idéal ; le docteur Copeland, consacrant tout son temps libre à l'éducation de ses enfants ; Mick, la jeune ado aux pieds nus folle de musique, rêvant un jour de pratiquer le piano et d'écrire ses propres compositions ; Jake Blount le communiste révolté, une grande gueule qui anesthésiera sa désillusion dans des litres d'alcool. Tous ces personnages feront tout pour se sortir, eux et leur entourage, de leur condition sociale, de cette spirale infernale faite de pauvreté et de misérabilisme. Malheureusement, chacune de leur tentative s'échouera sur les rochers d'un aquoibonisme plombant, ou sous le joug d'une soumission indolente. Comme-ci la stérilité de toute leur action ne pouvait que perdurer dans le temps, comme-ci la misère ne pouvait qu'engendrer la misère, indéfinivement. D'où la naissance, chez ceux qui misent sur une possibilité d'un début de changement, d'une frustration, d'une amertume puissante, qui, avec le temps ne peut qu'évoluer en dégoût, affliction et acariâtreté.
      Ce roman devient dès lors celui du renoncement. Renoncement des ambitions, renoncement des idéaux, renoncement à l'amour, puis fatalement, renoncement à la vie tout court. Car de tous ces désespérés, aucun ne parviendra à résoudre son exclusion d'une société percluse de discriminations, d'inégalités et d'injustices. Chacun au final n'en peut plus de sa condition de solitaire, les consolations sont éphémères donc frustrantes, les épreuves sont sans fin, dans ces dispositions, Carson McCullers fait admirablement ressentir le désenchantement de tous ces personnages, condamnés à rêver éternellement. Puisque l'espoir est un luxe assassiné dans l’œuf.

      Même si ce livre rend admirablement l'univers tendre-amer de Carson McCullers, et qu'il berce le lecteur d'une mélopée tranquille, le lecteur circonspect que je suis trouve cette cantilène bien longue (440 pages). Heureusement que d'audacieuses pointes d'acidité rehaussent de temps en temps le texte. Pour être sincère, j'ai parfois plongé dans un état léthargique, et cela m'a profondément gêné car le sujet est universel et magnifique d'humanité. Une ablation de 150 pages redonnerait à l'ensemble une dynamique salvatrice. Qui a crié : ô sacrilège !!!

      A noter, primo : Carson McCullers écrit ce roman à 23 ans, cela dénote une grande lucidité sur la condition humaine pour cette très jeune femme. Puis, deuzio : une expression utilisée 2 fois pour décrire la pièce d' une maison m'a fortement chagriné : Cela sentait le nègre ! A moins que cela ne soit dû à la traduction ?

      Je conclus par cette belle phrase poétique extraite du roman : Et comment les morts peuvent-ils être réellement morts alors qu'ils vivent dans les âmes de ceux qu'ils ont laissés ?


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