Felicio Yanaqué est un petit homme de 55 ans, patron d'une entreprise de transport à Piura, au nord du Pérou. Un matin, il découvre une lettre anonyme coincée sous le heurtoir de sa maison : une organisation mafieuse lui propose une protection rapprochée contre la somme de 500 dollars par mois. D'autres lettres suivront, dans le même style, portant pour signature le dessin d'une petite araignée. En référence à un père élevant haut les valeurs de droiture et d'intégrité, refusant d'être soumis à toute sorte de racket, Felicio préviendra aussitôt la police et la presse locale. Mais à qui peut-on vraiment se confier dans un pays dopé par une croissance économique hors norme, et qui voit en parallèle se développer des phénomènes exponentiels de corruption, de convoitise et inhérent à cela : de crimes.
Ismael Carrera est un grand homme de 80 ans, patron d'une prolixe compagnie d'assurances à Lima, au sud du Pérou. Ayant toujours vécu pour son travail, il décide maintenant de prendre sa retraite et de se remarier avec une femme nettement plus jeune, au grand dam de ses deux fils qui lorgnaient depuis longtemps sur l'héritage de la société et sur celui, plus important encore, des biens de leur père. Leur colère prendra une telle ampleur, qu'elle rejaillira sur tous les personnages du roman.
Mario Vargas Llosa maîtrise, avec une rare dextérité, l'art d'enchevêtrer les histoires (trois dans ce roman), en les dilatant au fur et à mesure que l'intrigue progresse. Non seulement heureux de ces entrelacements narratifs, il fait de même avec ses dialogues, emmêlant souvent ensemble deux conversations qui n'ont pas lieu en même temps, mais qui deviennent sous sa plume, une sorte de parole bifide. Néanmoins, au lieu d'en sortir un embrouillamini abscons, tout est d'une telle fluidité, que cela en devient même troublant de limpidité.
Face aux innombrables tares de la société péruvienne dénoncées dans ce roman : la discrimination (entre cholo et blancs), la vénalité, le racket, la convoitise, l'intimidation, le chantage et l'incurie, Mario Vargas Llosa dresse, au travers du personnage de Felicio, un mur incorruptible de valeurs humanistes majeures : la probité, le courage et la fraternité. Seulement, même parmi ces hommes dignes de ce nom (Felicio pour ne pas le nommer), dans leur exigence de droiture et d'exemplarité, certains dérivent parfois dans des insultes d'une rare violence face à des êtres qui n'y sont pour rien dans leur destinée de... bâtard ! Une seule constatation s'impose : personne n'est parfait... C'est si vrai, qu'il n'est jamais inutile de le rappeler.
Entre autre, Mario Vargas Llosa développe une réflexion sur le rôle de père, avec l'exemple de trois pères différents, chacun essayant à sa manière de gérer au mieux les difficultés d'être géniteur, vaste programme traînant moult interrogations : Quel est vraiment le rôle de père ? Son influence est-elle essentielle ? Pourquoi certains fils suivent la voix de leurs pères ? Par admiration de leur courage et de leur abnégation ? Où pourquoi dévie-t-on de leur ombre paternelle ? Par défit, par esprit de contradiction, par volonté farouche d'indépendance, de couper le cordon ombilical ? Et puis, question corollaire, peut-on être un vrai père pour un enfant dont on n'est pas le géniteur ? En vérité, y-a-t-il une règle absolue ? De toute façon chacun agit suivant sa sensibilité, certes l'atavisme tient un rôle, mais il est loin d'être identique pour chacun. Et puis tant d'influences rentrent en ligne de compte qu'il faut être bien arrogant pour apposer sur ce problème le moindre avis péremptoire.
Dans un style parfois déroutant, parfois léger, Mario Vargas Llosa sait emmener son lectorat sur des chemins pour le moins baroques, où, sa prose à la fois agréable et divertissante devient même un rien folâtre. Et cela jusqu'aux noms des protagonistes, qui m'ont paru d'un exotisme... disons euphorique, jugez-en : Saturnia, Gertrudis, Lucrecia, Rigoberto, Armida, Escobita et Edilberto.
Nonobstant tout ceci, il me reste en fin de lecture une impression de longueur en tête, certains étirements de dialogues pêchent par un effet de dilution, ils contiennent même des répétitions inutiles à la cohésion de l'ensemble. Pour les fans absolus de Mario Vargas Llosa, cette langoureuse nonchalance peut plaire, cependant, étant le premier roman que je lis de cet auteur "nobélisé" de son vivant, mon honnêteté m'oblige à cet aveu, même si je vais légèrement à l'encontre d'une opinion générale thuriféraire.
Malgré tous les problèmes auxquels est confronté le Pérou, on sent surtout au travers de l'écriture de Mario Vargas Llosa, un écrivain, grand amoureux de son pays.
Finalement, ce roman mêlant drame de mœurs, esprit criminel et chronique sociale, n'est qu'une façon atypique de présenter cette lutte perpétuelle et donc éternelle entre le bien et le mal, arrondie de cette interrogation suprême : où placer le curseur ?
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