En 1908, Anselme de Boisvaillant et sa femme Victoire vivent dans une belle maison bourgeoise, en plein coeur de la Touraine. Lui est notaire de père en fils, veuf et sans enfant, il espère avec son nouveau mariage une ribambelle d'enfants. Victoire, âgée de 25 ans, est mince et corsetée, elle lit Madame Bovary et envisage le sexe avec son époux comme un enchevêtrement immonde. Victoire vit enfermée dans ses peurs, d'ailleurs elle ne s'est jamais regardée nue dans une psyché, considérant son corps comme une abstraction bien laide.
Après 2 ans de mariage, le ventre de Victoire reste irrémédiablement plat, au grand dam de son époux, de sa mère et de sa belle-mère. Anselme, lassé des stratagèmes de Victoire pour éviter l'acte sexuel, se console avec Céleste, la bonne à tout faire, qui prie tous les soirs la Sainte Vierge afin d'être protégée. Il faut dire qu'elle est jeune et plutôt sensuelle, et ne sais que dire à son patron, un goujat qui la besogne avec brusquerie, avant de se rhabiller vite fait pour rejoindre son bureau.
Naturellement, un beau jour, Céleste tombe enceinte, elle redoute alors d'être renvoyée... mais chez les gens riches, on trouve toujours un moyen de s'arranger : un enfant en trop ici, un autre qui manque là, un équilibre à rétablir, c'est tout.
Jusqu'ici, c'est un récit lu mille fois, mais le génie de Léonor De Récondo est d'offrir à ses héroïnes un destin plus copieux, en élargissant leur horizon bien limité. Difficile d'en dire plus sans spolier la suite, juste un indice : le titre est au pluriel.
Léonor De Récondo s'en donne à coeur joie en dynamitant une société corsetée qui arrive en bout de course, les coutures craquent, les corsets finissent au feu, les robes parisiennes deviennent resserrées à la cheville, l'amour est multiple, il y a de la liberté dans l'air, comme des effluves révolutionnaires, sans aucun doute les prémices du féminisme. C'est une Madame Bovary intelligemment revisitée, totalement dépoussiérée... oserais-je dire ! De plus, aucune lourdeur stylistique ne vient gréver le propos, il y a un rythme, une fraîcheur, une espièglerie, une sensualité, une fluidité, dans ce livre, qui en font une bulle d'air suave à souhait.
A lire ce livre, émerge la deuxième vie de l'auteur : violoniste baroque. La construction du roman peut s'identifier au rythme d'une partition, tout y est musique, comme lorsque Victoire frappe nerveusement les touches du piano, afin de ne plus entendre les cris du nourrisson, ou quand elle se plonge mentalement dans la partition de la sonate au clair de lune de Beethoven, avant de la restituer avec toute la passion qui étreint son être.
En conclusion, Amours exprime la beauté de la puissance du désir, l'éternel combat contre les conventions castratrices d'espoir et l'admirable sens du sacrifice.
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