8 oct. 2017

" Kaputt "   de Malaparte   10/20


      L'auteur est né près de Florence en 1898. A 16 ans, en 1914, il s'échappe de son collège italien, traverse la frontière, et s'engage en tant que volontaire dans l'armée française (l'Italie était neutre à l'époque). Blessé en Champagne, il reçoit une distinction : la Croix de Guerre.
      En 1933, son livre Technique du coup d'état, dénonce les rouages de tout totalitarisme (le nazisme et le fascisme), premier livre, sur ce sujet aussi brûlant à être publié en Europe. En remerciement, Mussolini l'envoie pendant 5 ans réfléchir en déportation sur l'île de Lipari. 
      En 1941, les allemands le condamnent, à leur tour, à 4 mois de résidence forcée pour articles licencieux envoyés en Italie depuis le front russe où il fait le dangereux métier de correspondant de guerre

      Pendant l'été 1941, dans le village de Pestchianka, en Ukraine,  Malaparte écrit le début de Kaputt. Il est hébergé dans la maison d'un paysan nommé Roman Souchéna. Si une patrouille de SS passe par là, le moujik l'avertit en toussant. Puis il poursuit la rédaction du roman en Pologne, sur le front de Smolensk, en janvier et février 1942. Ce récit fut donc élaboré dans des conditions rudimentaires et très dangereuses. Malaparte divise son manuscrit en trois parties qu'il confie à différentes personnes en vue d'un réassemblage futur en Italie, quand les risques auront disparu.
      Ce récit a donc triomphé d'innombrables épreuves avant de pouvoir enfin voir le jour. Cela en valait-il le coup ? Certes oui, pour pénétrer, sans le moindre filtre, dans ce que la guerre a de plus monstrueux, de plus abject, zigzaguant entre cruauté et tyrannie. Ces événements sont racontés avec une telle précision qu'il semble impensable que nous ne soyons pas en face de la vérité la plus crue, celle dont est capable l'homme quand les valeurs humaines sont balayées pour des raisons d'idéologie furieusement fallacieuses. Quand toute pitié et dignité ont disparu, rendues caduques par de sombres doctrines, que reste-il ? Ce livre, comme trace indélébile de la nature profonde de l'homme.
      Seulement, ce récit n'est pas constitué uniquement de ces noirs événements. Il y a entre chacun d'eux une profusion de banquets où festoient moult représentants politiques, accompagnés de leur femme et même souvent de leur maîtresse ! En découlent de fastidieuses et longues descriptions, qui cassent la structure interne de l'oeuvre. Sérieusement, la moitié des pages sont en trop, on voit bien que l'épuration (sans vouloir faire de terrible jeu de mots) ne fait pas partie du vocabulaire de Malaparte. Un recentrage sur l'essentiel aurait salutairement agrandi son lectorat, car il faut bien le dire, j'ai souffert pour arriver jusqu'au lointain point final, pas à cause des horreurs narrées, mais à cause d'une prose si dense, si fertile, si verbeuse et si babillarde ! D'autant que, comme pour signer son style, Malaparte ne rechigne nullement à se répéter volontairement, sinon à balbutier ses phrases, pour les souligner exprès, ou par admiration pure et simple de son écriture. Et que dire de cette infernale et cruelle répétition du mot cruel, le mettant à toutes les sauces, à moins qu'il ne s'en serve comme d'un leitmotiv, rythmant, à l'instar d'une basse continue ou d'un glas, la vie abominable de ceux qui eurent à souffrir dans leur chair et dans leur âme de cette verrue immonde que fut, et qu'est encore en certain endroit du monde, le totalitarisme.

      Un dernier mot pour souligner sa belle et terrible description des chevaux, affolés par un incendie, se jetant dans les eaux du lac Ladoga, qui furent tous pris instantanément par la glace. En effet, comme le décrit l'astrophysicien Hubert Reeves, une eau extraordinairement pure peut rester à l'état liquide jusqu'à une température de moins quarante, il suffit qu'une simple poussière s'y mêle pour que par réaction chimique le processus de glaciation s'enclenche aussitôt. Malaparte se sert de ce fait historique datant de fin 1941 pour mettre en parallèle ce qui advient de l'Europe, puisque, en cas d'instabilités économiques, donc de grands dangers, les masses apeurées, tels les chevaux, se sont abritées sous une idéologie miroitante (encore une métaphore du lac), il suffit dès lors qu'un homme surgisse (une infime poussière), pour que cette masse s'y réfugie et que cela déclenche d'emblée l'horreur pure que fut la seconde guerre mondiale.

      En conclusion, beau et effrayant texte qu'une édulcoration aurait grandement sublimé... Dommage !

      

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