Varsovie en 2005, dans l'ancien monastère de la Vierge Marie, une séance de thérapie collective est organisée par le docteur Rudzki. Entre huis clos et jeux de rôles, les cinq participants n'oublierons jamais cette journée, d'autant que le lendemain, au petit matin, l'un d'entre eux est retrouvé mort, une broche de rôtissoire plantée dans l'oeil droit.
Empêtré dans une vie conjugale qui l'épuise ou/et l'ennuie, le procureur Teodore Szacki aura bien du mal à démêler les nœuds de cette affaire ayant des ramifications dans le passé sournois d'une Pologne, remontant avant même la chute du communisme, quand le hideux rideau de fer séparait l'Europe en deux.
Ce que j’apprécie particulièrement chez cet auteur venu de l'Est, c'est sa capacité rare ou sa singulière faculté à mettre au coeur de chacun de ses polars, un petit bout dramatique de l'histoire de son pays ; quand l'ombre d'hier remonte par capillarité dans les interstices du présent. Tel un passé ténébreux et perfide qui se refuserait à mourir définitivement. A y réfléchir... côté suédois, avec son triptyque originel de Millénium, Stieg Larsson avait réussi le même exploit.
Ce polar, aux accents " agathachristiques", vaut naturellement par le niveau de son intrigue, mais à égal intérêt, par la description d'une société largement corrompue jusque dans les hauts rouages de ses institutions ; une société frustrée et insatisfaite où tant de salariés du public ou du privé sont mal payés, en manque cruel de reconnaissance, à la merci des sursauts d'humeur de leurs chefs ; cette population désenchantée promène son vague à l'âme, ses désillusions dans une Varsovie architecturalement dénaturée, puisque reconstruite par nécessité à la va-vite, sans goût ni charme, après sa destruction quasi totale pendant les années du nazisme ; il y manque une grâce, un charme, un esprit, un coeur... en un mot une âme.
Zygmunt Miloszewski réussit grandement cette analyse par le truchement de son personnage emblématique : le procureur Teodore Szacki, un trentenaire, plutôt sexy, aux cheveux blanchis trop vite, las de sa vie maritale, mais surtout exténué par une profession trop peu rémunératrice, par les monticules de paperasse à remplir, ou par les affaires d’homicides dont les causes sont trop souvent issues de l'abus d'alcool et des violences conjugales ; sans compter avec une corruption à tous les niveaux de la hiérarchie, comme un pays qui aurait un mal fou à s'extraire des réflexes ataviques du vieux communisme.
Seul bémol, la montée en puissance peine ; l'enquête paraît patauger dans les méandres de récits stériles, où rien de concret ne semble se bâtir, avant que cet amas d'éléments diffus ne vienne s'agencer, s'ajuster, s’emboîter finement dans le cerveau du procureur, pour aboutir à une révélation insoupçonnable, nous offrant un portrait saisissant de la Pologne contemporaine. L'intrigue est si savamment emberlificoté, qu'elle laisse peu de chance au lecteur de l'élucider avec anticipation. D'ailleurs comment pourrait-il entrevoir l'envergure du réseau que l'histoire sous-tend ?
L'écriture est relativement simple, sans esbroufe, sans recherche artificielle d'effet, mais d'une efficacité redoutable ; elle permet une empathie totale avec tous les personnages de Zygmunt Miloszewski, même si cela peut paraître parfois insignifiant, dans Les impliqués, c'est une qualité essentielle.
A noter, même si cela peu surprendre, qu'en Pologne, c'est le procureur qui conduit les investigations lors d'homicide, la Police se contentant d’obéir à ses ordres, à ses exigences.
A noter aussi les bulletins d'informations instructifs en début de chapitre, histoire de nous remettre en mémoire les faits marquants de chacun des jours que dure l'enquête.
Et puis, c'est un atypique dépaysement assuré avec tous ces noms à consonance Grand-Est, cela demande au lecteur quelques efforts de mémorisation, au risque de se noyer sous ses innombrables X,Y,Z et bien sûr W !
Roman noir mais réaliste, un vrai délice pour les amateurs de l'histoire des pays de l'Est, un livre prétexte à dresser un état des lieux d'une Pologne toujours percluse par l'outrance de son histoire et qui peine toujours à se trouver un avenir, synonyme d'un optimisme recouvré. Zygmunt Miloszewski, retenez bien ce nom, il laissera une sacrée trace dans l'histoire des grands thrillers contemporains, il n'y a pas le moindre doute !
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