30 mars 2018

" Check-point "  De  Jean-Christophe Rufin   15/20


      Dans la Yougoslavie de 1995, deux camions fatigués avancent sur les routes défoncées de la Bosnie, en pleine zone de guerre. Cinq humanitaires sont à leur bord : Lionel, le responsable du convoi, qui, pour noyer son appréhension fume joint sur joint, Maud, la seule fille du groupe portant en elle un mal de vivre doublé d'une grande méfiance de la gente masculine, sans oublier Alex et Marc, deux anciens militaires peu communicatifs, voire grandement taciturnes, et enfin Vauthier, le mécano de l'équipée. Chacun s'est engagé dans cette ONG pour des raisons différentes, chacun porte en lui des blessures secrètes, qui, sous les aléas du voyage, finiront par sortir au grand jour, au risque d’alourdir une atmosphère qui n'en avait pas besoin. 

      A travers ces cinq protagonistes, Jean-Christophe Rufin nous donne à repenser l'humanitaire : après ses heures de gloire, notamment avec son action héroïque au Biafra et ses missions clandestines en Afghanistan, elle fut mise en relief grâce à ses fameux french doctors. En ce temps là, avec son côté aventureux, l'oeuvre humanitaire s'inventait au fur et à mesure, aujourd’hui, la mise en place d'une véritable organisation a-t-elle tué son âme originelle ?
      De plus, une question fondamentale revient comme un boomerang à chaque fois qu'une population souffre à cause d'une guerre : de quoi ont réellement besoin les victimes : de vivres, de médicaments pour survivre ou d'armes pour se battre et se défendre légitimement ? Faut-il leur apporter de la nourriture ou les moyens de combattre l'adversité, fut-elle suicidaire ? Là réside l'un des leviers du roman, où nos cinq militants humanitaires, voulant venir en aide aux populations bosniaques, verront l'ébranlement de leurs certitudes. Devant les horreurs de la guerre, où certains n'hésitent aucunement à se livrer à des règlements de compte personnels : des frustrés, des voisins envieux ou encore toute sorte de pervers qui voient là l'occasion trop belle de se déchaîner, de libérer leurs pulsions profondes et abjectes. Devant tout ce capharnaüm, ces hommes de bonne volonté devront-ils rogner, puis renier le sacro-saint principe de neutralité de l'humanitaire ? Chacun devra trouver ses propres réponses, même si au final, elles deviennent parfois paradoxales. Cette expérience altruiste les renverra à un cas de conscience, une casuistique, qui fatalement les fera grandir, tel un voyage initiatique. Tous auront appris sur eux-mêmes, car dans l'adversité, chacun se révèle... inévitablement.

      Avec ces questions soulevées pendant une partie du roman, on pouvait s'attendre, à lire une vraie fiction basée sur l'humanitaire, avec en toile de fond une vision géo-politique de la situation en ex-Yougoslavie. En fait, le récit se limite à un road-movie digne d'un bon thriller. L'intrigue principale se bornant à une poursuite folle entre deux camions, dans un paysage hivernal. Néanmoins, la psychologie des personnages, leurs interactions, l'inévitable histoire d'amour et le suspens de l'intrigue, font de ce roman une lecture attrayante et intéressante. Toutefois, moins de mélodrame et plus de géo-politique auraient donné une autre dimension à ce récit. Cependant, la postface rehausse la qualité de l’ensemble, à lire et relire pour bien s'en imprégner, tant la lucidité de l'auteur nous gifle de sa pertinence.

      Check-point est un livre angoissant et émouvant, basé sur d'authentiques actions de guerre civile - dont les cruelles images ont rempli les journaux télévisés des années 90 - vécues par l'intermédiaire de cinq jeunes idéalistes aux motivations diverses, qui, sous le joug des épreuves, devront revoir leurs priorités. Jean-Christophe Rufin nous interroge intelligemment sur l'avenir de l'action humanitaire, ses véritables buts, son impossibilité de rester neutre, mais aussi sur l'horrible possibilité de voir à nouveau l'Europe se déchirer pour de sordides raisons discriminatoires, comme dans ce sombre passé yougoslave. Devant les tensions incessantes entre européens, le pire est toujours à craindre, du fait de la montée incessante d'une lame de fond extrémiste dans de nombreux pays de la communauté. Connaîtrons-nous enfin une Europe apaisée ?




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