3 mars 2018



" L’événement "   de Annie Ernaux   18/20


      A l'occasion d'un anecdotique examen dans un cabinet médical, Annie Ernaux replonge plus de 30 ans en arrière, en janvier 1964, quand elle décide de se faire avorter. Malgré le temps passé depuis, le souvenir de cet événement reste gravé de manière indélébile dans son esprit. Pendant les deux premiers mois de sa grossesse, n'osant se confier à personne, surtout pas à ses parents ni à ses amis proches, elle erre, paumée et désargentée, à la recherche d'une faiseuse d'anges. C'est à Paris qu'elle dénichera une infirmière clandestine...
      Ce récit est loin d'être anodin, il me marquera longtemps par la terrifiante vérité d'une époque, pas si lointaine, où l'avortement était interdit en France, et où des milliers de femmes y ont laissé leur vie.

      Avec son style direct, sec et saccadé, Annie Ernaux exprime le rejet d'une société qui ne veut rien entendre, de l'abandon de son petit ami, du refus des médecins qui risquent gros, et du discours ambigu de ses ami(e)s d'université. Il y a dans ces pages, un cri, un hurlement face à une société pétrie et engoncée dans des principes d'un autre temps, et des tabous de tous les temps, inutile de donner des exemples, tout le monde les aura reconnus, ils sont toujours dans nos rues, à manifester la croix au cou.

      Cette autobiographie est racontée avec une économie de mots, mais qui, judicieusement choisis, frappent et bouleversent le lecteur. Sans parler de la scène où, allongée sur son lit dans sa chambre universitaire, après moult douleur, le fœtus jaillit de ses entrailles, pour choir entre ses jambes, tel un acte sacrificiel ultime. Elle écrira plus loin : Je sais aujourd'hui qu'il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants. Pour accepter cette violence de la reproduction dans mon corps et devenir à mon tour lieu de passage des générations. Propos tout à la fois psychologique, choquant et contradictoire de son geste. Difficile de juger la dignité d'un tel acte, car quand cela arrive, c'est toujours seule que l'on prend la décision.

      Au-delà des préjugés, Annie Ernaux ose dire l'indicible, en s'affranchissant par l'écrit d'un pesant fardeau, au risque d'être montrer du doigt comme une femme indigne et méprisable. Rien que pour cette preuve de courage, elle mérite, à défaut de notre assentiment, notre respect.


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