26 juil. 2018
Dans un monde où la civilisation s'est effondrée, suite à une pandémie foudroyante, une troupe itinérante de comédiens et de musiciens vont se produire d'îlot en îlot peuplés de survivants. Telle une poignée de graines de culture essayant d'apporter un peu de nourriture spirituelle et d'espoir au maigre reliquat humain du monde, car, comme le dit la phrase tatouée sur le bras de Kirsten, l'une des comédiennes : Survivre ne suffit pas.
Ce livre, par son angle de vue décalée, s'avère être un objet littéraire difficile à cataloguer. A première vue, on songe à un roman classique de science-fiction sur le thème récurrent de la fin du monde, avec : une pandémie fulgurante, des files de voitures abandonnées à la sortie des villes avec des cadavres à l'intérieur, des cités fantômes paraissant figées dans le temps et des groupes de survivants errant sur les routes à la recherche de nourriture. Tout ceci nous faisant penser à la série télévisée The Walking Dead, centrée essentiellement sur la survie en milieu post-apocalyptique. Station Eleven est plus malin, il garde en toile de fond le fléau grippal décimant l'humanité, cependant, le récit s'oriente sur plusieurs dizaines d'années avant et après la catastrophe, mêlant et entremêlant la destinée de protagonistes dont l’existence fut liée de près ou de loin à un célèbre acteur décédé d'un infarctus sur scène, peu de temps avant le début de la pandémie.
Station Eleven est avant tout un livre sur l'insoupçonnable fragilité de notre monde. Celui-ci pouvant se faire bousculer sévèrement par un simple virus. Si peu de choses suffisent à nous renvoyer à un âge post-industriel, pire encore, puisque aucun ordre, aucune loi n'est plus en vigueur, chacun agissant alors suivant ses convictions, qu'elles soient liberticides ou altruistes.
Bien que l'action se situe 20 ans après la catastrophe, certains gardent toujours en mémoire l'époque d'avant, celle où la civilisation brillait par sa technologie, où joindre n'importe qui par téléphone ou mail semblait un geste facile, où la médecine vous soignait de presque tout, où tous les magasins regorgeaient de produits alimentaires et futiles. Aujourd'hui, plus d'électricité, plus de carburant, plus aucune communication, rien que le néant à perte de vue. Comment survivre avec de tels souvenirs ? Clark, un nostalgique du monde d'avant, décide de bâtir un musée de la Civilisation en collectionnant tous ces objets devenus caduques.
Les dangers d'une telle vie résident aussi dans l'apparition délétère de tous ces prophètes de pacotilles (pléonasme ?), surgissant du terreau de la détresse humaine. Ces illuminés, ces perfides, déchiffrent dans l'apocalypse une punition de Dieu, et, sous le prétexte fallacieux d'apporter la lumière aux survivants, abusent de leur crédulité.
En décryptant ce roman, j'y dénote une sorte de traité philosophique sur la condition humaine, sur notre manque absolu de prise de conscience de l'empreinte que nous laissons tous, sur la définition première de la mémoire et sur la force indélébile de l'art. Et puis... mine de rien, en considérant la précarité de l'homme et la force tranquille de la nature, la Terre ne pourrait-elle pas se lire comme un manuscrit dont l'histoire peut être à tout moment remaniée, sous le moindre effet papillon, tel un palimpseste ?
Station Eleven est un roman qui redéfinit les priorités, qui remet l'homme à sa juste place en ouvrant la réflexion sur une grande inconnue : nous-mêmes.
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