10 août 2018

" Un monde sans fin "   de Ken Follett   15/20


      En l'an de grâce 1327, quatre enfants sont les témoins involontaires d'une poursuite dans les bois. Deux soldats de la reine Isabelle y trouvent la mort, un chevalier gravement blessé enterre au pied d'un arbre une lettre mystérieuse, sa connaissance risquerait de mettre en grand danger la couronne d'Angleterre. Si l'un des enfants raconte ce qu'il a vu, ils seront tous assassinés. Désormais, leur sort dépend de leur silence.

      Suite à son magnifique et célèbre roman, Les piliers de la terre, Ken Follett, dans Un monde sans fin, reprend l'histoire de la vie des habitants de la ville de Kingsbridge, mais deux siècles plus tard, de 1327 à 1361. Tous les éléments qui ont fait le sel du premier tome et qui ont réjoui beaucoup de lecteurs se retrouvent transposés en plein coeur du XIV ème siècle, malheureusement, l'effet de surprise n'est plus là. 
       Dans les rôles titres, censés être les lointains descendants des personnages du premier opus : Godwyn, un prieur conservateur et carriériste,  régnant d'une main de fer sur une tripotée de moines, ne supportant aucune contestation de son autorité ; Merthin, un jeune bâtisseur prometteur, vivant sous la coupe de Elfric, un patron abusif et déloyal ; Edmond, le prévôt de la ville, un riche marchand de tissus dont la sa fille Caris possède un fort esprit d'indépendance ;  Raph, un simple écuyer, prêt à tout pour devenir chevalier, vivant uniquement pour le combat et les femmes. J'aurais pu continuer encore longtemps tant les personnages sont pléthores.
      Après le décalquage des protagonistes d'un tome à l'autre, la même similitude s'opère autour des situations. Dès lors, la construction de la cathédrale se mue en construction d'un pont de pierre ; le prieur bon et généreux dans le tome 1, devient un être machiavélique, plus préoccupé de profit et de gloire personnelle que du bonheur de sa communauté ; après avoir lutté, dans le premier opus, contre les jalousies meurtrières des villes environnantes, Kingsbridge doit affronter une chute vertigineuse de son commerce de laine, puis l'arrivée funeste de la peste noire. On reprend donc tous les agencements du livre premier pour les faire évoluer dans l'espace et le temps. Cependant, malgré toute la bonne volonté de l'auteur avec la magie de ses rebondissements, on ne peut s'empêcher de songer à la saveur d'un plat au goût de pages déjà dégusté ailleurs, déjà lu antérieurement.

      Néanmoins, le fond historique, l'écartement du pouvoir du roi Edouard II par la reine Isabelle, sa mort douteuse avant l’avènement de son jeune fils Edouard III, amène au récit un écrin, une véracité et une intrigue supplémentaires. De plus, la terrible peste noire, épidémie la plus meurtrière ayant touché l'espèce humaine, agit comme un révélateur sur les habitants de la ville de Kingsbridge.  En affectant chaque famille, ce fléau oblige chaque individu à laisser transparaître sa véritable personnalité.

      L'incroyable personnage de Caris, de par son esprit d'entreprise, sa liberté chevillée au corps, sa volonté de combattre tout esprit obscurantiste et son sacrifice pour le bien d'autrui, devient une insoumise, une femme d'exception, admirable pour la clairvoyance de ses combats face à l'ignorance têtue, bête et méchante de toutes sortes d'autorités, principalement religieuse. Cependant, une telle modernité est-elle plausible dans cette première moitié du XIVème siècle ?

      Ken Follett réussit à décrire avec minutie, un rien jouissive, l'ambition aveugle dénuée de tout scrupule, la vanité infinie et l'avidité intarissable de ses protagonistes les plus détestables, ne tirant jamais le moindre enseignements de leurs erreurs, bien au contraire : Rien de tel que l'orgueil pour faire perdre à un homme tout bon sens. Ou bien encore : C'est étrange comme Dieu nous prive parfois des hommes les meilleurs pour nous laisser les pires. De même, devant la montagne d'injustices qui accable Caris, l'un des protagonistes répond : La gratitude n'est pas de ce monde ! Tout est résumé.

      A la vue de ses 1337 pages ou 415 000 mots, ce livre aurait pu s'intituler Un livre sans fin, tant les personnages, les manipulations et les intrigues sont abondantes ! D'ailleurs vers la fin du roman, Ken Follett se permet de résumer telle ou telle péripétie située dans les premières 500 pages du pavé, avoir besoin de repréciser les choses dénote que son histoire a vraiment trop duré ! A l'avenant, son roman aurait pu paraître en feuilleton dans un journal, comme cela se faisait jadis, puisque chaque chapitre s'achève par un rebondissement, et des chapitres il y en a 91 ! C'est pas un peu trop ? De même, les malheurs qui pleuvent sur la tête de Caris, de Merthin, de Wulfric ou de Gwenda sont si nombreux et si variés, toujours manigancés avec un machiavélisme le plus sournois possible, qu'ils font perdre de la crédibilité au récit. Trop de noirceur tue l'obscurité 

      Avec Ken Follett, le style est toujours soigné, sans être ampoulé, c'est un vrai raconteur d'histoires. De plus, la richesse de toute ses descriptions, quelles soient architecturales, décoratives, vestimentaires, mécaniques ou alimentaires traduit un phénoménal travail de documentation. Cependant, à la vue de sa pléthorique production littéraire, je soupçonne Ken Follett de travailler en équipe. Ce qui n'est pas honteux, mais ce point n'est jamais soulevé lors de ses interviews.

      Quand j'entends le prieur Godwyn déclamer en vue d'expliquer l'origine de la peste à ses ouailles : La peste nous est envoyée par le Seigneur en punition de nos péchés. Le monde est devenue mauvais. L'hérésie, la luxure et l'irrévérence y règnent en maîtres... ...Dieu est en colère et son ire est terrible. Vous aurez beau vous démener pour échapper à sa justice, son bras vous débusquera où que vous vous cachiez. Je ne peux m'empêcher de songer à toutes ces idéologies contemporaines qui prônent toujours ce même discours péremptoire et obscurantiste. Malgré ces allures d'effroyables contes pour enfants pas sages, elles drainent toujours, dans leurs sillages nauséabonds, une grande partie d'une humanité lobotomisée pour qui les expressions "esprit critique", "libre arbitre" ou "libre penseur" sont comme des utopies, des options ou pire des hérésies !

      En conclusion, Un monde sans fin parle de nous, de nos petitesses, de nos manigances, de notre étroitesse d'esprit, nous empêchant de voir la lumière, de voir l'homme derrière l'homme. Cependant tout ceci était déjà dans l'extraordinaire tome 1, alors faut-il lire le 2 ? Oui si on adore son univers. Non, si on dispose de peu de temps ! Quand je pense que le tome 3 vient de sortir !!!


   

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