Une organisation internationale orchestre des assassinats à la seule condition que ces-dits meurtres soient dûment justifiés... et payés d'avance. Ce syndicat du crime est constitué essentiellement d'intellectuels, de personnes censées porter au plus haut la belle chose qu'est la réflexion. Ivan Dragomiloff, le fondateur de ce très secret Bureau des Assassinats, devient, par un bien hasardeux concours de circonstances, la prochaine victime de l'association. Dés lors, une grande partie d'échecs pleine de péripéties se met en branle pour la plus grande joie du lecteur.
Aux antipodes de son univers traditionnel où la nature est omniprésente, Jack London nous propose un roman sorti de nulle part. En tant qu'inconditionnel de ce grand écrivain, je ne pouvais passer à côté de cette histoire pleine de rebondissements, qui se révèle être une tragi-comédie où l'humour et le non-sens s'épanouissent dans une folie débridée. J'en veux pour preuve cette phrase qui résume bien l'idée générale : Croyez-moi, quand on travaille en marge de la loi, il est essentiel d'observer les règles de l'honnêteté la plus scrupuleuse.
Intellectuellement et philosophiquement corrompus, ces assassins sont paradoxalement d'une intégrité, d'une probité sans la moindre tache ; l'honneur avant tout, même si cela entraîne des conséquences pour le moins fâcheuses, sinon irrémédiables, mais que voulez-vous, se parjurer serait leur plus grande honte, une honte indélébile aux yeux de leur propre conscience. Dès lors, la mort devient plus une célébration de leur droiture qu'une infâme punition.
Ce roman, par son propos atypique, pour ne pas dire subversif, pose deux questions : Certaines personnes, par leur comportement inacceptable, méritent-elles de vivre ? A-t-on le droit légitime de les mettre à mort, sans que la moindre notion de culpabilité n'ait sa place ici ? A partir de ce point de départ louchant sur la casuistique, les intellectuels assassins bâtissent une réflexion d'une logique implacable, mais en rognant allègrement sur la morale. On imagine facilement Jack London jubiler devant une intrigue aussi divertissante que frappadingue à écrire. Imaginez des assassins se targuant d’œuvrer pour le bien commun ; imaginez la philosophie, la morale et le devoir se muant en sophisme à tout va ; imaginez n'importe quel haut responsable qui s’adjuge l'autorité d'un juge ; imaginez la logique d'un raisonnement existentiel qui permet de tout justifier, tout ceci vous le lirez sous la plume caustique de Jack London, un roman aussi décapant que jouissif.
Le comble du non-sens est atteint, quand, par souci d'élégance et de convenances, les meurtriers trinquent allègrement au champagne avec leur future victime, une fois la bouteille vide, les bonnes intentions s'évanouissent et la sinistre besogne reprend.
Néanmoins, derrière cette burlesque comédie, l'auteur nous questionne sur le caractère sacré de la vie humaine, est-il dû au concept social ou aux religions, voire les deux ? Ce côté sacré a-t-il même réellement un sens ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une aberration bien fallacieuse, d'une chimère qui nous rassure ? Car depuis les temps préhistoriques, l'homme, dans toute sa splendeur, n'a jamais beaucoup hésité à trucider son prochain ou sa prochaine. Et si c'est notre intelligence, toute relative, qui nous confère ce stade de sacré, que dire de certains animaux doués eux aussi d'une certaine intelligence ? Ces mêmes animaux que l'homme tue allègrement en leur récusant, souvent avec arrogance, toutes considérations de l'ordre du même sacré. Mine de rien, ce petit livre possède de quoi ouvrir d'acharnées discussions.
Seul petit souci : les personnages sont un rien trop bavards, on pourrait croire à une pièce de théâtre tant les dialogues affluent, en effet, il y a peu de place pour les descriptions, les divagations, les flâneries littéraires dont Jack London est passé maître.
Mais où Jack London a-t-il été chercher cette intrigue improbable ? Peut-être dans les réminiscences de son passé politique, n'oublions pas qu'en 1897 il adhère au Socialist Labor Party, révélant ainsi ses préoccupations politiques. Son adhésion durera vingt ans, le temps qu'il se rende compte de l'inégalité du combat, mais ses idées humanistes rejailliront dans ses multiples écrits.
A noter qu'il s'agit d'un roman inachevé de Jack London, dont il écrivit les treize premiers chapitre, les six derniers furent rédigés par Robert L. Fish d'après les propres notes de l'auteur, le roman fut publié de manière posthume en 1963.
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