24 nov. 2018


" Ailleurs si j'y suis "   de Antoine Lorrain   16/20 

      Depuis son enfance, Pierre-François Chaumont est un collectionneur, un tantinet maniaque, au grand dam de sa femme Charlotte. Dès qu'il a un peu de temps, cet avocat parisien plutôt brillant, file déambuler dans les salles d'exposition de l'hôtel Drouot, avide de nouveaux objets. Un matin, il tombe nez à nez avec un portrait du XVIème siècle : un sosie de lui-même ! Pour une somme folle il remporte les enchères, aussitôt il file chez lui, le soumettre à l'avis de sa femme. Stupéfaction, elle ne voit aucune ressemblance ; double abasourdissement, ses amis sont du même avis ! Pierre-François est-il en train de devenir dingue ?

      Pour son premier roman, Antoine Lorrain choisit le réalisme fantastique. A la manière d'une Daphné du Maurier avec Le bouc émissaire ou celle de Marcel Aymé et sa La Jument Verte, sans oublier Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, ou encore le film de Daniel Vigne : Le retour de Martin Guerre. Avec des références de ce niveau, il fallait être à la hauteur. Le pari est presque gagné, l'ensemble ne manque pas de charme et d'originalité. Mon seul bémol vient d'un texte beaucoup trop court, trop épuré ; en gourmand des mots et des situations cocasses, j'en voulais plus, plus de développements, plus de digressions, et plus d'histoires. Le temps de s'imprégner des saveurs du récit, de les apprécier, et déjà, le mot fin tombe, telle une mouche dans le potage ! De ce fait, parlons plutôt d'une excellente nouvelle qui en appelle d'autres !

      Trop succinctement donc, l'auteur s'interroge sur les mordus de la collection, ceux qui exaspèrent leur entourage par leur manie souvent très encombrante. Est-ce une manière de mettre la main sur les objets d'un monde qui leur échappe ? D'avoir une prise sur le temps ? D'exister, même de manière infime ?

      Avec son questionnement sur les disparitions volontaires, Antoine Lorrain parle d'un problème grave, au coeur de nos sociétés, avec en corollaire l'image séduisante, pour quiconque, de tout plaquer afin de s'offrir une nouvelle vie, ailleurs, loin de la routine affligeante, pour ne pas dire aliénante, que vivent tant de gens.

      Enfin, avec une simple hypothèse de départ, soit l'arrivée d'un élément perturbateur - le tableau - Antoine Lorrain transcende le présent pour le sublimer, jusqu'à en faire une sorte de conte, comme une porte vers une autre dimension, plus excentrique, plus sensuelle, qui chamboulera la vie de Pierre-François, jusqu'ici sans passion véritable, hormis ses collections.

      D'une écriture fluide, Ailleurs si j'y suis, est un mini roman frais, décalé et dynamique, qui séduit avant de passionner. En quelques lignes il nous interroge avec intelligence et facétie sur notre vie. Et allez savoir, il vous donnera peut-être l'idée folle et osée d'aller voir ailleurs si la vie y est plus ... verte, belle et romantique !

      A noter en filigrane l'évocation d'un auteur quelque peu oublié, celui de Jean Lorrain (1855 - 1906), par l'intermédiaire de son roman Monsieur de Phocas, l'une des oeuvres majeures de la littérature décadente, livre en partie autobiographique.


      

19 nov. 2018



HAÏKU   Partie   CVII

°°°°°°°°°°

sous la pluie ou le gel
vieilles pierres
toujours en paix


pleins d'embûches
pleins d'ornières
le chemin c'est la vie


un samedi en jaune
le rond-point de Chantal
mourir pour mieux vivre


vendredi soir d'insouciance
aux terrasses des cafés
et pourtant et pourtant


sous la pluie
sous la neige
le sourire de bouddha


18 nov. 2018



HAÏKU   Partie   CVI

°°°°°°°°°

escalier en amphithéâtre
monter au ciel
et voir la mer


trois statues
trois regards
telles nos divergences


sur la plage de Fécamp
trois baigneuses
même en décembre


poussée par le vent iodé
la foule fuit le bord de mer
sauf trois baigneuses


trois géantes de fer
trois points de repère
le chemin de la mer


13 nov. 2018


" Dans la forêt "   de Jean Hegland   17/20



      Suite à une série d’événements inexplicables, un beau jour, il n'y a plus d'électricité ni d'essence, dès lors, les trains et les avions puis les voitures ne circulent plus. Dans ce contexte de fin du monde, Nell et Eva, deux soeurs de dix-sept et dix-huit ans se retrouvent esseulées dans leur maison familiale perdue en plein coeur de la forêt, bien loin au Nord de la ville d’Oakland en Californie. Leurs parents étant décédés récemment, les deux jeunes femmes doivent mettre leurs divergences de côté afin d'unir leurs forces et d'affronter un avenir incertain où toute chose peu représenter un danger potentiel. 

      A noter que le lecteur reste dans l'expectative face aux raisons profondes de cette fin de monde : Épidémie de grippe aviaire ? Guerre ? Catastrophe économique ? Attaque chimique ? Il est exactement dans les mêmes conditions, les mêmes configurations que les deux protagonistes coupées du monde et ne devant faire confiance qu'à elles-mêmes pour s'en sortir. Un vrai huis-clos forestier !

      Ce roman fut écrit il y a vingt ans, il nous raconte, avec une économie de moyen la fin, tout en douceur, d'un monde avec une activité humaine qui s’éteint peu à peu, à des lieues de toute invasion extra-terrestre et autre attaque de morts-vivants. D’emblée, par sa sobriété, cette période de grands changements, où plus rien ne sera comme avant, est plus réaliste, plus crédible, au point de songer qu'à tout moment cette fiction n'est pas loin d'une réalité éventuelle, presque tangible.

      Devant l'imprévisibilité de la situation, les deux soeurs vont devoir apprendre à grandir autrement, sans tout le confort ostentatoire du modernisme apporté par la fée électricité, mais comme il y a cent-cinquante ans, en faisant confiance à la nature, celle que l'homme s'évertue à détruire avec tant de hargne. Ce retour forcé aux ressources salvatrices de la forêt donne à réfléchir sur nos comportements quotidiens irraisonnés.

     Dans ce contexte de lendemain d'apocalypse, Nell et Eva doivent renoncer à leurs espérances désormais caduques : entrer à Harvard pour l'une et devenir danseuse classique pour l'autre. Vite la nécessité l'emporte sur l'oisiveté et l'insouciance ; malgré leur jeune âge, elles élaborent un plan de survie, notamment grâce à un livre que possédait leur mère : Plantes indigènes de la Californie du nord. La débrouillardise, sinon leur esprit d'initiative les fera progresser sur la voie de la survivance. Petit à petit, elles se transcenderont au point de découvrir en elles des ressources insoupçonnées ; cette force naissante ayant pour point d'origine une singulière sororité doublée d'un amour inconditionnel.

      Toute l'histoire est issue du journal de Nell ; l'écriture lui donne le sentiment ineffable d'être toujours vivante, d'avoir encore accès au champ des possibles, quand son monde se résume dorénavant à quatre murs perdus dans une forêt gigantesque ; cette même forêt qui est son seul espoir de lendemain, d'avenir, de vie. Néanmoins, écrire n'est-ce pas aussi une manière de se souvenir, d' évoquer la perte et le manque, l'absence et la solitude, l'incertitude du lendemain et l'intranquillité de la vie imposées par la force incommensurable du destin et par la bêtise insondable de l'homme.

      La plume de Jean Hegland est d'une fausse simplicité, elle est avant tout au service du propos, tout en nuance et en émotion, faisant naître une vraie empathie.

      Dans la forêt, outre son côté robinsonnade forestière et roman d'apprentissageest une grande fable écologique, une oeuvre bouleversante de prise de conscience, le symbole d'une renaissance, d'un retour à nous-mêmes et à la nature, celle dont nous sommes tous issus et dont nous ne sommes nullement supérieurs. A travers le parcours de Nell et d'Eva se sont des questions existentielles qui se posent dans cette période critique où l'homme est à la croisée de son destin. Quelle piste doit-il suivre ? Celle d'un consumérisme exponentiel et débridé, donc suicidaire, ou celle de la réflexion, de l'humilité et donc du respect pour toutes formes de vie ?  Que restera-t-il de nous quand les conditions de vie dans notre environnement se déliteront inexorablement, comme c'est déjà le cas partout ? Envisager de perdre l'acquis n'est-il pas une façon de prendre conscience de l'essentiel, de redéfinir les priorités ? Qui sommes-nous actuellement  ? Des individus portant d'immenses oeillères ? N'avons-nous pas perdu tout contact avec la nature, la vraie, celle des étoiles, celle des plantes sauvages, celle de la biodiversité, celle d'un air pur, celle des aubes diaprées, celle des nuits noires, celle des insectes pollinisateurs, celle du pépiement des oiseaux, celle des balades en forêts, celle du bruissement des feuilles, celle de l'odeur d'humus ?
      Toute la puissance du roman est là : nous forcer à nous remettre écologiquement en question. Si le monde devient invivable, la nature qui est là depuis des millions d'années s'en remettra... quant à l'homme - cette espèce que l'on dit " intelligente " - ne sera plus là pour voir cette renaissance verte.

      Pour peu que le lecteur sache comprendre et réfléchir, ce roman ne peut pas laisser indifférent, en tout cas il restera sûrement longtemps dans la tête de ceux qui auront pris le temps de s'imprégner de ces quelques pages.

     Avec cette dystopie bucolique, vous ne regarderez plus la nature avec le même regard lors de votre prochaine balade en forêt. Rien que pour cela, merci Jean Hegland !


12 nov. 2018

Pâtisseries hétéroclites !


Latham 47... pour les connaisseurs.






















A suivre...

6 nov. 2018



HAÏKU  Partie   CV

°°°°°°°°


rivière d'automne
pleine de larmes
des saules en pleurs


tapis de feuilles mortes
avancer pas à pas
le bruit du croustillant


chagrin d'automne
le châtaignier du jardin
pleure ses feuilles


nul besoin de pompiers
pour ces forêts de novembre
toutes en feu


paradoxe automnal
les arbres se mettent à nu
pour affronter l'hiver