Depuis son enfance, Pierre-François Chaumont est un collectionneur, un tantinet maniaque, au grand dam de sa femme Charlotte. Dès qu'il a un peu de temps, cet avocat parisien plutôt brillant, file déambuler dans les salles d'exposition de l'hôtel Drouot, avide de nouveaux objets. Un matin, il tombe nez à nez avec un portrait du XVIème siècle : un sosie de lui-même ! Pour une somme folle il remporte les enchères, aussitôt il file chez lui, le soumettre à l'avis de sa femme. Stupéfaction, elle ne voit aucune ressemblance ; double abasourdissement, ses amis sont du même avis ! Pierre-François est-il en train de devenir dingue ?
Pour son premier roman, Antoine Lorrain choisit le réalisme fantastique. A la manière d'une Daphné du Maurier avec Le bouc émissaire ou celle de Marcel Aymé et sa La Jument Verte, sans oublier Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, ou encore le film de Daniel Vigne : Le retour de Martin Guerre. Avec des références de ce niveau, il fallait être à la hauteur. Le pari est presque gagné, l'ensemble ne manque pas de charme et d'originalité. Mon seul bémol vient d'un texte beaucoup trop court, trop épuré ; en gourmand des mots et des situations cocasses, j'en voulais plus, plus de développements, plus de digressions, et plus d'histoires. Le temps de s'imprégner des saveurs du récit, de les apprécier, et déjà, le mot fin tombe, telle une mouche dans le potage ! De ce fait, parlons plutôt d'une excellente nouvelle qui en appelle d'autres !
Trop succinctement donc, l'auteur s'interroge sur les mordus de la collection, ceux qui exaspèrent leur entourage par leur manie souvent très encombrante. Est-ce une manière de mettre la main sur les objets d'un monde qui leur échappe ? D'avoir une prise sur le temps ? D'exister, même de manière infime ?
Avec son questionnement sur les disparitions volontaires, Antoine Lorrain parle d'un problème grave, au coeur de nos sociétés, avec en corollaire l'image séduisante, pour quiconque, de tout plaquer afin de s'offrir une nouvelle vie, ailleurs, loin de la routine affligeante, pour ne pas dire aliénante, que vivent tant de gens.
Enfin, avec une simple hypothèse de départ, soit l'arrivée d'un élément perturbateur - le tableau - Antoine Lorrain transcende le présent pour le sublimer, jusqu'à en faire une sorte de conte, comme une porte vers une autre dimension, plus excentrique, plus sensuelle, qui chamboulera la vie de Pierre-François, jusqu'ici sans passion véritable, hormis ses collections.
D'une écriture fluide, Ailleurs si j'y suis, est un mini roman frais, décalé et dynamique, qui séduit avant de passionner. En quelques lignes il nous interroge avec intelligence et facétie sur notre vie. Et allez savoir, il vous donnera peut-être l'idée folle et osée d'aller voir ailleurs si la vie y est plus ... verte, belle et romantique !
A noter en filigrane l'évocation d'un auteur quelque peu oublié, celui de Jean Lorrain (1855 - 1906), par l'intermédiaire de son roman Monsieur de Phocas, l'une des oeuvres majeures de la littérature décadente, livre en partie autobiographique.
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