Fils de paysans de Canteleu, Georges Duroy est dévoré par l'ambition de s'extraire de sa modeste condition sociale. Suite à une rencontre fortuite avec Forestier, un ancien collègue militaire reconverti en chroniqueur politique dans le journal La vie Française, il profite de cette aide providentielle pour amorcer une ascension, digne de sa folle appétence, qui le conduira aux portes du pouvoir. Jusqu'où un homme est-il prêt à agir pour conquérir une identité conforme à ses rêves les plus mégalomanes ?
L'argent est le maître mot de ce roman, l'argent qui engendre l'élévation sociale, l'argent qui appelle l'argent, l'argent qui offre le pouvoir. D'ailleurs, dès l'incipit Georges Duroy et l'argent sont là, comme un refrain qui résonnera tout du long, avant une apothéose finale où le tout Paris viendra nombreux, lors de son mariage en grande pompe à la Madeleine, admirer, si ce n'est envier sa réussite. Comme il n'a ni génie, ni talent, il ne devra sa réussite qu'à son charme naturel de bellâtre, à sa faconde, à l'ineffable suavité de son regard attirant celui des féminins, peu importe l'âge de la demoiselle, de la jeune femme ou de la femme mûre. Toute la gente féminine est une proie potentielle pour ce personnage avide de conquêtes. Cependant, Georges Duroy est d'une intelligence rare, ces alliances féminines sont uniquement motivées par le gain qu'il peut en escompter. Rusant tel un joueur d'échecs sur l'échiquier de la vie et de l'amour, il fomente des coups machiavéliques dignes du plus grand respect, si ce n'était le cynisme outrancier qu'il déploie.
En effet, ce roman dénonce, sous le couvert d'une ironie cruelle et sarcastique, les rouages de la collusion entre le pouvoir politique et l’influence du monde journalistique, les uns aidant les autres et réciproquement. Un vrai monde de requin, où la moindre faiblesse est signe de perdition, de déchéance, seuls les plus immoraux, les plus canailles, les plus vicieux pourront se hausser sur l'autel de l'imposture. Un roman indémodable.
Malgré toutes ses feintes, ses tromperies, ses faux-semblants, ses mystifications, le coeur de Duroy ne battra véritablement que pour une seule chose, un seul amour : celui d'une femme, celle qui le fera incessamment vibrer : Madame de Marelle, son unique et pur amour. Comme-ci, dans le coeur d'un homme vouant tout à son propre dessein, rejetant tout ce qui lui a permis de franchir les échelons du prestige, une lueur, une sincérité pouvait coexister avec sa noirceur d'âme.
La plume fluide de Maupassant excelle à décrire la rage dans la personnalité de Duroy, cette sourde colère née de l'envie de gravir tous les échelons vers la gloire et de connaître enfin la respectabilité que donne l'argent. C'est d'ailleurs par cette même fierté arriviste que Georges Duroy, au seuil de sa nouvelle vie, modifie son nom bien banal en un nom digne d'un tout autre statut appelant le respect : Georges du Roy de Cantel (pour Canteleu). Tout est dit !
Avec maestria, Maupassant dresse le portrait d'une haute société fiévreuse et médiocre où s'allie un triptyque bien pitoyable : hypocrisie, duperie et absence de scrupules ; chacun soignant ses propres intérêts avant de songer, un tant soit peu, à la nation. Tableau bien pessimiste d'une société nécrosée, mais n'est-ce point une sorte de pléonasme, comme une pandémie à jamais nichée au coeur de toutes nos sociétés ? Du très grand Maupassant !
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