An 2500, sur la terre la société s'est métamorphosée. Désormais la quasi totalité du monde n'est plus que science et technologie ; la liberté de penser et d'agir fait partie du passé. Les êtres humains naissent in vitro ; les sentiments et les émotions sont remplacés par des désirs et des sensations programmés depuis la naissance.
De forme pyramidale, toute la société est hiérarchisée en cinq castes. Les bébés de chacun des niveaux subissent d'abord des manipulations chimiques, puis, pendant le sommeil de leur enfance, un message auditif passé en boucle leur structure le cerveau. Ainsi, chacun d'eux aura un niveau intellectuel nécessaire pour accepter et même se réjouir de sa propre vie. Chaque individu, pareillement soumis, possédera en lui toutes les réponses - pré-fabriquées - à tous les problèmes qu'il rencontrera le long de sa vie. Ainsi, la société peut dormir tranquille avec tous ses êtres bien dociles, ayant toujours un esprit positif et ravis de consommer. Dès lors, plus de risque de voir le moindre contestataire venir glisser un grain de sable dans cette machine sociétale si bien huilée. Si malgré tout, une douleur quelconque se profile à l'horizon, l'état distribue du SOMA, une drogue douce qui permet d'enjamber la plus légère contrariété, la belle vie quoi, le paradis sur terre... enfin !
Cependant, un beau jour, John, un homme né d'un père et d'une mère - autrement dit un sauvage - épris de liberté, vient semer la zizanie dans cette organisation modèle...
Ce roman culte de la littérature de science-fiction a été écrit en 1931 ; il dénote une incroyable faculté visionnaire. Jonglant entre utopie et dystopie, il pose clairement la question fondamentale de la liberté. Vaut-il mieux vivre dans l'indécision d'un présent incertain et d'un avenir hypothétique plutôt que dans un monde entièrement déterminé et outrageusement conditionné ? Dit autrement : Doit-on vivre avec la maladie, le chômage, l'angoisse du lendemain, le vieillissement, la dépression, la famine, la guerre, les cracks boursiers, la misère et cetera, ou choisir un monde de paix où le bonheur ruisselle sur toutes les classes sociales, chacun étant heureux d'être là où il est, ne désirant jamais que ce qu'il peut obtenir ? En un mot : doit-on préférer un monde de sentiments et d'émotions, plutôt qu'un monde de désirs et de sensations programmées ?
Après réflexion, le choix est-il si simple ? Quand on connaît les effroyables douleurs par lesquelles passe, ou est passé, ou passera une bonne partie de l’humanité, la réponse à ce dilemme n'a rien d'évident. Naturellement, il peut paraître incontestable de choisir la liberté, mais pour en faire quoi ? A regarder autour de soi, beaucoup de personnes n'ont même pas conscience de ce qu'est le libre arbitre ou le moindre esprit critique ; elles vont là où notre système consumériste veut qu'elles aillent, comme des moutons de Panurge ; la réflexion ne fait pas partie de leur attribution, dès lors, elles vivent déjà dans un monde à la Huxley sans le savoir, de plus elles cumulent les désavantages de la première option, double peine.
Cependant, le bonheur, ce concept insaisissable, peut-il être réellement fabriqué artificiellement, n'a-t-il pas besoin d'effort, de difficultés à vaincre pour avoir une existence réelle ?
Aldous Huxley, dès 1931, paraît doué d'une puissante lucidité, notamment avec cette notion d'eugénisme qui renvoie directement à l'apparition du nazisme et sa volonté de créer la race parfaite. Sa dénonciation du communisme trouve sa place dans le nom des protagonistes ; en effet, ce n'est pas un hasard si certain s'appelle Lénina, Bernard Marx, sans parler du procédé Bokanovsky ou de la salle de conditionnement néo-pavlovien. Par l'intermédiaire d’incessantes références au créateur de ce monde, un certain Ford, Aldous Huxley, révoque la fabrication et la consommation de masse. Toutes ces déviances n'ont-elles pas le même dessein ? La prédominance d'une élite totalitariste qui maîtrise l'organisation de la structure de la société au détriment d'une réelle et si dangereuse liberté individuelle. En 1931, l'auteur avait en ligne de mire : l'Allemagne, l'Italie, l'URSS et le Japon, mais aujourd'hui, à l'heure où partout dans le monde des gouvernements extrémistes arrivent aux portes du pouvoir, quand ce n'est pas au pouvoir même, ce roman semble toujours d'une cruelle actualité... et malheureusement le sera toujours.
Le seul et vrai protagoniste du roman n'est-il pas ce John le Sauvage ? Cet homme atypique, puisque né par les voies naturelles, qui cherche vainement à convertir les autres du bienfait de la liberté, cette liberté qui est plus importante que leur confort immédiat. Mais personne ne veut de son message, même Lénina, qui ne le laisse pas indifférent, finira par le quitter. Lors de sa discussion avec l'Administrateur - le meilleur passage du roman - il déploie toute une panoplie d'arguments s'échouant un à un face à la rationalité et à la froideur du propos du dirigeant.
Certes, Aldous Huxley nous décrit un monde autoritaire, cependant, ce qui glace le plus dans ce monde de sciences et de technologie, c'est qu'il naît de l'émanation de la volonté du peuple ; l'homme, comme le seul responsable de sa condition.
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