Depuis quelques temps, Michka ne maîtrise plus les mots, elle souffre d'aphasie. Pourtant, c'est grâce à eux qu'elle gagnait sa vie dans un passé pas si lointain, avec son métier de correctrice, comme si après en avoir eu pléthore, ils se vengeaient de cette vieille dame et de son exigence en se raréfiant, jusqu'à finir par disparaître définitivement. Un comble !
Dans sa traversé de l'indicible, Michka va être aidée par son amie Marie, une femme qui dans sa jeunesse trouvait du réconfort chez elle, et par Jérôme, un orthophoniste admirable de bienveillance. A eux deux, ils vont s’efforcer d'aider la vieille dame à supporter le poids écrasant de sa maladie neurodégénérative.
Avec une plume à la délicatesse ouatée, Dephine de Vigan nous offre un court récit tout en élégance sur la déchéance qui attend chacun de nous. La vieillesse, comme un tabou incontournable de notre société contemporaine. Vieillir, c'est apprendre à perdre. Encaisser chaque semaine ou presque, un nouveau déficit, une nouvelle altération, un nouveau dommage.
Ce roman est porté par une écriture sans fioriture, à la recherche du mot juste, d'ailleurs les mots y sont essentiels, tout tourne autour d'eux : ceux qui sont oubliés, ceux qui en remplacent d'autres, ceux qui sont inventés et ceux qui sont tus parce que trop difficiles à dire car ils touchent au plus intime. Ces fameux mots d'amour et ces mots de reconnaissance infinie, expliquant ainsi le titre du roman, se répétant en écho au travers des personnes et du temps, tel un relais, un témoin générationnel ou une mémoire en fil rouge liant à jamais une suite de bénédictions.
A propos de mots, Delphine de Vigan fait dire à Michka qu'elle préfère qu'on la qualifie de "vieille", et non pas de personne âgée. En effet, notre jeunesse est appelée "les jeunes", et non pas des personnes jeunes, toujours cette obsessionnelle histoire de mots qui est la réussite incontestable de ce livre.
Malgré cet avant-propos plutôt flatteur, j'ai quelques bémols et non des moindres. Le premier étant lié à la maigreur du roman ou devrais-je plutôt dire de la nouvelle, 173 pages, et encore, si vous retirez toutes les pages blanches et celles qui ne sont écrites qu'en partie, c'est un livre de 100 pages. Certes, la qualité ne se mesure pas à la longueur, mais alors pourquoi cette impression d'avoir lu une ébauche à la place d'un véritable roman ? Ce côté ramassé sur lui-même empêche d'avoir le temps de s'attacher aux protagonistes, bien qu'il y ait franchement matière. La vie de Michka est bien trop édulcorée, bien trop diaphane ; j'aurais tant pris plaisir à la suivre dans son métier de correctrice, d'ailleurs les mots, n'est-ce pas le sujet ? La vie de Marie aurait également mérité quelques extensions, sans parler de celle de Jérôme, prisonnier du mur de silence de son père. J'admets que certains romans traînent effrontément en longueur, mais l'excès inverse n'est pas mieux, surtout avec une base de départ si riche et si universelle.
Je me permets d'ouvrir une parenthèse sur un sujet qui me dérange de plus en plus. Personnellement, j'estime que certains auteurs ou autrices sortent beaucoup trop de livres. Je considère qu'avoir le rythme d'une publication annuelle est une pure folie. En tout cas, si on veut écrire une oeuvre d'une tangible qualité littéraire, il n'y a pas de secret : il faut y passer du temps. Combien ? Je ne sais pas, mais le temps de prendre du recul, de se relire encore et encore, de peser chaque mot, chaque phrase, de laisser le manuscrit reposer, puis d'y revenir avec un esprit moins impliqué. C'est simple, tous les livres qui m'ont procuré énormément de plaisir ne se sont pas créés en 365 jours. Ils ont demandé un temps de maturation nécessaire, comme pour un bon fromage ou un bon vin. Je regarde et j'écoute régulièrement des émissions littéraires, et certains écrivain(e)s reviennent annuellement, telles les fêtes de fin d'années ! Je ne citerais pas les noms, tout le monde les connaît, et dans la très grande majorité, ces livres sont des déceptions ou des demi-déception, en tout cas bien loin d'une amorce de chef-d'oeuvre. J'ai bien peur que là-dessous, comme dans beaucoup d'autres endroits, tous ces gens agissent ainsi pour des considérations bassement pécuniaires, sous la forte pression des maisons d’éditions. Cela me désole profondément, pas vous ?
Maintenant, il faut que je me calme, sinon ma critique va devenir plus longue que le livre en question !?! Ah, on ne se refait pas !
Pour en revenir au roman Les gratitudes, j'ai apprécié l'humanité des personnages, très avenants, très magnanimes, cependant la vie dans les EHPAD est-t-elle réellement si idyllique ? Les directrices sont-elles à l'écoute du moindre désir de leurs résidents ? Tout le personnel était-il aussi bienveillant ? Sans parler des orthophonistes, sont-ils tous des vraies perles comme Jérôme ? J'avais cru comprendre que la vie en EHPAD était parfois assimilée à une zone secondaire de délaissement pour ne pas dire pire !
Avec Les gratitudes, Delphine de Vigan explore ces lois intimes qui dirigent nos vies. Elle questionne avec doigté la notion de remerciement, différente pour chacun de nous, jusqu'à prendre le chemin d'une profonde gratitude, encore faut-il savoir l'exprimer.
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