21 sept. 2019

" Le loup des mers "   de Jack London   19/20



      Le jour où Humphrey Van Weyden, un critique littéraire de 35 ans, choisit de traverser la baie de San Francisco sur un ferry pour rejoindre son ami Charly Furuseth, le brouillard se lève. Dans cette purée de poix une effroyable collision a lieu avec un autre ferry, abandonnant Van Weyden à un naufrage, à une eau glacée, puis à une mort certaine. Heureusement, une goélette baptisée "Fantôme", armée pour une longue campagne de pêche aux phoques, croise la route de notre infortuné et le sauve. Le capitaine du navire, Loup Larsen, loin de le ramener au port, le garde à son bord, contre son gré et contre toute convention maritime. Le malheureux garçon se voit affecté au service personnel de Larsen, qui s'arroge le droit d'éduquer ce fils de famille aisée, au corps filiforme et aux mains d'intellectuel, à la rude vie de marin.

      Ce point de départ abrupt et rugueux donne le ton d'un récit plein de sauvagerie, d'austérité et de réflexions. Car, s'il est question d'aventures, de tempêtes, de luttes, de tragédies et... d'amour(s), Jack London, grâce à une écriture volontaire et puissante oriente le débat bien au-delà du classicisme roman de genre en y déployant toute la force de son intellect, emportant le lecteur dans un torrent de considérations fort passionnantes, faisant de ce roman atypique un très grand livre, pour ne pas dire plus.

      Avec Le loup des mers, London aborde un thème qui lui tient fondamentalement à coeur, celui de l'ensauvagement, comme dans L'appel du monde sauvage. L'auteur subtilise un homme, puis plus tard une femme, du monde cultivé et raffiné qu'ils connaissent depuis toujours, pour les projeter dans un univers marin rustre et archaïque où l'existence est une lutte de chaque instant, loin de leur artificielle et riche famille argentée. Pour survivre, ils devront s'affranchir de leur éducation anesthésiante, à l'humanité et à l’altruisme facile, pour s'orienter vers un égocentrisme archaïque et déshumanisant, dans le seul dessein de rester en vie. Cependant, confrontés à un monde où la cruauté des marins et la violence des éléments naturels, ne risquent-t-ils pas de devenir eux-mêmes ce qu'ils abhorrent ? La casuistique est fascinante, et il faut un écrivain de grand talent pour nous faire goûter à toute la subtilité du sujet. 

      Le personnage de Loup Larsen semble sorti, non pas de la cuisse de Jupiter, mais de la main de Satan. Indifférent à autrui, d'un cynisme abyssale, d'une mélancolie absolue, il règne sur son équipage par la terreur et la force brute qui le surnomme " Le démon des mers". Certes, la tyrannie qu'il exerce sur ses hommes, doublée d'un usage excessif de la puissance physique sont abjects, néanmoins, par son matérialisme farouche, par ses raisonnements aussi logiques que fallacieux et par sa culture d'autodidacte lui permettant de citer Browning, Milton, Herbert Spencer, Darwin ou Nietzsche et de justifier ainsi sa philosophie de vie basée sur la loi du plus fort, cet homme redoutable... fascine littéralement Van Weyde.
      Il le fascine également par sa beauté, que je qualifierais de " Beauté du Diable ". Il le fascine enfin par l'énergie vitale qui saillit de son corps aux muscles durs comme l'acier, tel un summum de masculinité incarnée en un seul homme.
      Malgré tout, jusqu'à quel point Van Weyden est-il subjugué par Larsen ? N'est-il qu'un prisonnier attiré par son bourreau ? Car bien entendu, Larsen se joue de lui comme un roi avec son bouffon, ou pire, pareil à un prédateur avec sa proie. Toutefois, la relation de maître à esclave évolue sensiblement avant qu'elle ne s'inverse quand les deux hommes abordent le terrain des idées, des livres et de la philosophie. L'élève devient l'instructeur et prend la position de dominant, juste le temps d'une parenthèse distractive, avant que l'âpre et sordide vie du bord ne reprenne ses droits.
      Jack London excelle dans cette confrontation intellectuelle entre les deux hommes notamment quand ils discourent sur le sens véritable de la vie et de son caractère sacré, Larsen reprochant à Van Weyden, ce riche héritier, de vivre sur le travail des autres comme un parasite. Quant à Van Weyden, il discrédite la vie du capitaine dont les applications philosophiques le portent à des agissements indignes de toutes morales. Cependant, Larsen, par des moyens et des arguments expéditifs et dangereux, ne donne-t-il pas à Van Weyden l'occasion, si ce n'est de sauver son âme de sa vie d’improductif, du moins de se construire une personnalité digne de ce nom ? Ah, décidément rien n'est tout noir ou tout blanc !

      Par effet de résonance affectée aux grands textes, ce roman met le doigt sur nos propres vies. Sont-elles à l'image du Van Weyden du début de roman, sans envergure et quelque peu stériles, ou tel le Van Weyden du final, gonflées d'agissements créateur de liberté ne reposant que sur sa volonté et son travail ?

      Un capitaine qui craint aussi peu la fureur des tempêtes, voire même qui les réclame, et dont l'autorité frise le paroxysme, ne peut manquer d'évoquer, pour tout lecteur avisé, une autre figure littéraire du genre : le caractériel capitaine Achab du célèbre roman d'Herman Melville : Moby Dick paru en 1851. Par maints et maints aspects et détails, on présume que le souvenir du livre de Melville, a, par capillarité, fait frémir la plume acerbe de London. Par exemple, Ismaël chez Melville, tout comme Van Weyden chez London jouent le rôle de l'observateur et du narrateur, un rien naïfs au départ, puis fascinés et enfin terrifiés par la personnalité hors-norme de leur capitaine respectif. Tous deux vivent une dramatique et traumatisante aventure autant physique que morale, leur faisant reconsidérer leur vie à l'aune d'une odyssée homérique menée de manière obsessionnelle par un pêcheur de phoques pour l'un et un pêcheur de cachalots pour l'autre. Dans une conjecture finale exacerbée de rage, seul ne peut subvenir qu'un sacrifice ultime et libérateur. Aveuglés par l'orgueil de la transgression, animés d'une indomptable énergie, faisant fi des blessures corporelles et l'esprit frisant la folie, pour ces deux capitaines de l'extrême, être vivants, c'est tout se permettre, absolument tout, puisque tels des prédateurs ultimes, ils tutoient les cieux et sont... leur propre dieu !

      Avec ce mélange de séduction et d'abjection, Loup Larsen ne peut laisser indifférent, Le loup des mers est là pour déranger nos bonnes consciences, et, comme le disait Albert Londres "Porter la plume dans la plaie". Et de London à Londres, il n'y a qu'un pas qu'il me plaît de franchir. 

      Ce classique de London, sorti en 1904, est un livre inoubliable par sa force intrinsèque, ses interrogations et la beauté de son écriture. A lire ou à relire minutieusement.


Visions fugitives du jardin estival


Partie 5



Toute la beauté solaire du Rudbeckia




Une courge singeant la planète Mars !




Elle se fait tant désirée,
la belle Ipomée !





Interlude animal.




La Cornue des Andes,
en tête-à-tête amoureux !




Consoude et bourrache,
en pleines déliquescence par manque d'eau,
même avec paillage.




Un pied de tournesol façon hydre.
Désespérément à la recherche du soleil !

A bientôt !


16 sept. 2019

Wedding Cakes de Septembre :



Trompe-l'oeil envahit par des Ratatouilles !



Avec un attrape-rêves pour décor.



Avec couronne et cœurs en chocolat blanc,
puis peints à l'aérographe.



Avec tour Eiffel en 3D et chocolat blanc.
Avez-vous vu les coccinelles ?



Licorne en chocolat... blanc, naturellement !



Bouquet de fleurs en guise d'au revoir !


13 sept. 2019


" L'appel du monde sauvage " ou " L'appel de la forêt "  de Jack London   18/20



      Brutalement arraché à la douce civilisation californienne par la trahison d'un jardinier peu scrupuleux, Buck, un chien issu d'un croisement entre un Saint-Bernard et d'un colley, voit sa vie changer radicalement pour servir dans un attelage de chiens de traîneaux au pays du grand froid. Plus de paix, de repos ni de sécurité, confronté à la dure loi de l'homme cupide et de la nature sauvage, il devra se muer en bête féroce pour juste espérer rester en vie. En ces temps où la ruée vers l'or du Klondike, en Alaska, donne un vague espoir de richesse à une population exsangue, une capacité d'adaptation s'avère essentielle, chez l'homme comme chez l'animal, pour résister à l'implacable changement de vie que cela induit.

      Paru en 1903, L'appel du monde sauvage ou L'appel de la forêt marque indéniablement l'entrée de Jack London en littérature américaine. En inventant cette belle et glaçante histoire, l'auteur s'est remémoré sa confrontation avec le grand Nord qu'il fit en 1897, lors de sa participation à cette même ruée humaine vers l'or du Klondike. Certes, il rentrera bredouille et de plus avec le scorbut, mais ce qu'il a observé lui ouvrira les portes d'une autre richesse, celle de pouvoir devenir un véritable écrivain.

      Sous les traits inoffensifs d'un conte animalier se joue une complexité bien plus subtile, bien plus déroutante. En passant de l’artificialité du confort de la civilisation à l'horreur d'un dressage extrême par le gourdin, Buck comprend que pour survivre il devra user de toute son intelligence, auparavant anesthésiée par la domestication, et de ses instincts ancestraux, ceux qui sommeillent en nous, tel un retour à une sauvagerie originelle condamnant irrémédiablement chacun à l'abandon de toute dignité. Pour Buck, inéluctablement, s'opère un glissement du chien vers le loup, certes, d'une part comme l'unique moyen d'avoir un semblant d'avenir, mais surtout d'annihiler définitivement les fondements du monde civilisé, signes patents de faiblesse donc d'handicap dans un univers si hostile. Naturellement, en remplaçant le chien par l'homme, la portée du texte prend un relief troublant et effroyable. Car poussé dans ses retranchements les plus profonds, quand un semblant d'apocalypse sonne à nos portes fermées à double tour, que reste-t-il de part d'humanité au fond de nous ?

     Les différents conducteurs de traîneaux auxquels Buck sera attelé permettent à Jack London d'ouvrir un éventail de situations, allant de l'incompétence, à la veulerie, en passant par la couardise. Cependant, parfois aussi, l'homme, responsable et conscient des dangers liés à la piste, éprouve un véritable respect pour ses chiens, pour leur courage, leur volonté et leur détermination. Et du respect à l'amour, il n'y a parfois qu'un pas, qu'il est agréable de franchir.

      Dans ce récit aux allures fallacieuses de simples balades en traîneau, Jack London, grâce à une plume et à un ton souvent lyrique, nous décrit les étapes d'une séries d'épreuves initiatiques, où n'importe qui, confronter aux bas instincts de l'homme et à l'inhospitalité de la nature, se voit contraint d’entamer un processus de décivilisation pour perdurer.

      Cette soi-disant littérature pour jeunesse, qui est très loin d'en être une à moins d'une castratrice et sévère édulcoration, transcende son sujet. Jack London vise surtout une dénonciation de l'esclavage, de la violence et de la cupidité, mais il célèbre également le triomphe de l'inné sur l'acquis, comme un retour aux sources, un retour à la liberté, même si elle est loin d'être sans danger.

      L'appel du monde sauvage : un grand texte né de la sensibilité d'un grand monsieur qui heureusement fut également écrivain de talent. A lire ou à relire sans faute.



6 sept. 2019



HAÏKU   Partie CXXXII

°°°°°°°°°

les arches de l'église en ruine
ne soutiennent plus
que le bleu du ciel


sous une forêt de pierres
une femme prie -
le bruit du silence


vivre chaque instant
même celui niché
entre les secondes


brume sur l'abbaye -
nid de coton
pour vieilles pierres


sous la nef sacrée
la pureté des voix -
cadeau au silence