Brutalement arraché à la douce civilisation californienne par la trahison d'un jardinier peu scrupuleux, Buck, un chien issu d'un croisement entre un Saint-Bernard et d'un colley, voit sa vie changer radicalement pour servir dans un attelage de chiens de traîneaux au pays du grand froid. Plus de paix, de repos ni de sécurité, confronté à la dure loi de l'homme cupide et de la nature sauvage, il devra se muer en bête féroce pour juste espérer rester en vie. En ces temps où la ruée vers l'or du Klondike, en Alaska, donne un vague espoir de richesse à une population exsangue, une capacité d'adaptation s'avère essentielle, chez l'homme comme chez l'animal, pour résister à l'implacable changement de vie que cela induit.
Paru en 1903, L'appel du monde sauvage ou L'appel de la forêt marque indéniablement l'entrée de Jack London en littérature américaine. En inventant cette belle et glaçante histoire, l'auteur s'est remémoré sa confrontation avec le grand Nord qu'il fit en 1897, lors de sa participation à cette même ruée humaine vers l'or du Klondike. Certes, il rentrera bredouille et de plus avec le scorbut, mais ce qu'il a observé lui ouvrira les portes d'une autre richesse, celle de pouvoir devenir un véritable écrivain.
Sous les traits inoffensifs d'un conte animalier se joue une complexité bien plus subtile, bien plus déroutante. En passant de l’artificialité du confort de la civilisation à l'horreur d'un dressage extrême par le gourdin, Buck comprend que pour survivre il devra user de toute son intelligence, auparavant anesthésiée par la domestication, et de ses instincts ancestraux, ceux qui sommeillent en nous, tel un retour à une sauvagerie originelle condamnant irrémédiablement chacun à l'abandon de toute dignité. Pour Buck, inéluctablement, s'opère un glissement du chien vers le loup, certes, d'une part comme l'unique moyen d'avoir un semblant d'avenir, mais surtout d'annihiler définitivement les fondements du monde civilisé, signes patents de faiblesse donc d'handicap dans un univers si hostile. Naturellement, en remplaçant le chien par l'homme, la portée du texte prend un relief troublant et effroyable. Car poussé dans ses retranchements les plus profonds, quand un semblant d'apocalypse sonne à nos portes fermées à double tour, que reste-t-il de part d'humanité au fond de nous ?
Les différents conducteurs de traîneaux auxquels Buck sera attelé permettent à Jack London d'ouvrir un éventail de situations, allant de l'incompétence, à la veulerie, en passant par la couardise. Cependant, parfois aussi, l'homme, responsable et conscient des dangers liés à la piste, éprouve un véritable respect pour ses chiens, pour leur courage, leur volonté et leur détermination. Et du respect à l'amour, il n'y a parfois qu'un pas, qu'il est agréable de franchir.
Dans ce récit aux allures fallacieuses de simples balades en traîneau, Jack London, grâce à une plume et à un ton souvent lyrique, nous décrit les étapes d'une séries d'épreuves initiatiques, où n'importe qui, confronter aux bas instincts de l'homme et à l'inhospitalité de la nature, se voit contraint d’entamer un processus de décivilisation pour perdurer.
Cette soi-disant littérature pour jeunesse, qui est très loin d'en être une à moins d'une castratrice et sévère édulcoration, transcende son sujet. Jack London vise surtout une dénonciation de l'esclavage, de la violence et de la cupidité, mais il célèbre également le triomphe de l'inné sur l'acquis, comme un retour aux sources, un retour à la liberté, même si elle est loin d'être sans danger.
L'appel du monde sauvage : un grand texte né de la sensibilité d'un grand monsieur qui heureusement fut également écrivain de talent. A lire ou à relire sans faute.
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