D'une part il y a Antoine Duris, un éminent professeur aux Beaux-Arts de Lyon. Un beau jour, sans prévenir quiconque, il décide de tout quitter pour devenir un simple gardien de salle au musée d'Orsay. Pourquoi cette décision étonnante de déclassement volontaire ? Quel drame fuit-il ? Un crime peut-être ? Même sa soeur, de qui il est resté proche, ne peut lever le secret qui expliquerait ce suicide sociétal et professionnel.
D'autre part, il y a Camille, une étudiante en art, qui, pour son jeune âge, affirme déjà une certaine maturité et une captivante originalité dans l'exigent art pictural. Malheureusement, la vie lui réserve une belle saloperie comme elle sait les concocter.
Ces deux destins, ces deux trajectoires d'êtres cabossés par la vie vont s'entrecroiser brièvement pour, telle une supernova, furtivement éblouir le monde de la peinture.
Avec ce roman, David Foenkinos agrandit le cercle de l'art comme catharsis qu'il avait admirablement amorcé avec Charlotte Salomé, jeune peintre juive noyant sa vie dans la peinture pour survivre au nazisme. Toujours dans l'esprit de mettre un baume sur les blessures, il en remet une belle couche (si je puis dire) en considérant toutes formes d'art comme des cautérisations vitales pour surmonter les lourdes épreuves de la vie. Cependant, la finalité de l'existence de l'art, sa raison d'être première, est-elle en priorité un médicament, un dérivatif spirituel pour une humanité en déliquescence et en souffrance ?
Ce livre lui permet de mettre le doigt sur un sujet très dramatique et inacceptable de nos sociétés, il dénonce ouvertement des pratiques si souvent tues pour des raisons bien compréhensibles. Même si le mouvement MeToo est passé par là, les choses ont-elles fondamentalement changé? Le fait de poser la question est, déjà en soi, une réponse.
Même si l'intrigue tarde quelque peu à démarrer, la force intrinsèque du texte final donne une puissance inoubliable à l'ensemble ; d'autant qu'une plume parfois facétieuse, parfois ténébreuse hisse le roman à un niveau poignant.
Au passage, David Foenkinos soulève tout l'arbitraire et l'iniquité à propos de ces peintres morts dans la misère et dont les oeuvres se vendent aujourd'hui à grands coups de millions d'euros.
Parmi les thèmes abordés, l'auteur fait ressortir le constat effarant qu'il suffit de désirer vivre autrement que la majorité, d'être à contre-temps en quelque sorte (notamment vivre sans portable, sans nécessité de s'amuser à tout prix, sans envie d'imiter la foule), pour passer pour un être suspect aux yeux des autres, comme un attardé, un démodé voire un fossile ! Pourquoi le bonheur ne pourrait-il pas être simple, sans toutes ces fioritures inutiles et souvent dispendieuses ?
L'auteur digresse avec bonheur sur toutes ces expressions absurdes et toutes faites qui nous agressent journellement comme : refaire sa vie ou tourner la page, ou cette particularité de définir la personnalité d'une personne juste en examinant sa chevelure, de mémoire cela existait déjà avec les chaussures dans le film Héroïnes de 1997.
Mon véritable bémol vient d'une absence d'évocation lyrique des tableaux sans pour autant en faire une fastidieuse étude détaillée. On sent que l'auteur veut rester généraliste, ne pas ennuyer un lectorat qui n'entend rien à la peinture. Quel dommage ! De même survoler à 10 000 mètres la vie de Modigliani me semble infiniment léger et négligeant. Sans en faire une biographie on pouvait évoquer son parcours chaotique et torturé ou du moins en écrire un minimum ; juste dire qu'il est décédé de tuberculose à l'âge de 35 ans en 1920 me paraît un point essentiel, cela aurait donné un positionnement de Modigliani dans son époque.
Vers la beauté est un roman universel sur le rôle de l'art dans la cicatrisation de toutes nos écorchures, de toutes nos déchirures, grandes ou petites. Un livre tout en délicatesse, aussi sombre que pertinent, où la beauté apaise. Une magnifique ode à l'Art.
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