" Les noces barbares " de Yann Queffélec 16/20
Né d'une imposture amoureuse et d'un viol collectif, le petit Ludovic sera toute sa vie haï par une maman trop jeune et trop belle, ne voyant qu'en son fils le résultat d'un effroyable gâchis. Vivant sans amour maternel et caché dans un vieux grenier, son état psychologique ne pourra être que chancelant. Pour survivre, il devra se construire son propre univers, incessamment écartelé entre un sentiment d’adoration et de répulsion pour sa mère... si lointaine.
D'emblée, le style de la plume séduit. Ses descriptions dénotent d'une qualité littéraire remarquable. Le summum étant atteint avec l'évocation sublime de la mer et de son rivage. Il y a une telle poésie dans ses phrases et dans ses mots qu'il m'est arrivé de relire certains passages, gratuitement, juste pour la beauté du texte et le plaisir des belles phrases.
Par-dessus tout cela se greffe une histoire sordide pleine de tromperie, de haine, de rejet et d'amour. Où, comment se construire sans l'amour d'une mère, pire, avec la répulsion constante de sa maman ? Ce roman aurait pu s'intituler "Noir obscur", tant l'absence de lumière suinte de partout, tant le moindre espoir se dégonfle aussitôt, telle un ballon de baudruche poinçonné en tout point. Ce même poing qu'il aura beau serré de désespoir, vainement. Malgré l'enténèbrement de l'histoire, malgré le sordide des sentiments et malgré l'obscénité des situations, Yann Queffélec évite l'écueil du pathos et du larmoiement. En bon marin, il louvoie avec dextérité entre les récifs d'une jeune vie perdue, d'une vie sacrifiée sur l'hôtel de l'abomination, de la concupiscence et de la perversion.
De surcroît, l'auteur dénonce les jugements rapides, les injonctions sans fondement, bref, tous ces préjugés venus de personnes censées être censées, ces fameux gens si bien-pensant. Et pourtant, Ludovic en entendra des mots péjoratifs, créant une isolation supplémentaire, une barrière infranchissable, une fragmentation de son esprit, une frontière absurde entre les gens dit "équilibrés" et les autres.
Est-ce un plaidoyer en faveur de l'avortement, une apologie de l'adoption ou un éloge pour la primordialité de l'amour maternelle ? Tout cela à la fois et bien plus encore.
Néanmoins, malgré l’intérêt porté à ce roman, j'ai un bémol concernant la deuxième partie du livre, là où Ludovic se fait enfermer dans une institution pour débile léger. Cette partie de 100 pages s'éternise en histoires d'enfants qui n'apportent pas grand-chose au récit ; heureusement, la dernière partie rehausse l’intérêt, pour s'achever dans un symbolisme tragique où la résolution de l'équation relationnelle sera au rendez-vous, dans une acmé déchirante, ultime et inévitable.
Et que dire du quatrième de couverture trop bavard. J'en suis encore consterné, c'est simple : il contient tout le roman, même la fin ! Ne le lisez sous aucun prétexte, votre plaisir en serait stupidement gâché.
Les noces barbares est un récit si poignant que les années de lecture à venir, ne parviendront jamais à effacer ce texte de nos mémoires. Comme un coup de poing dans la gueule ou une violente gifle au visage d'une humanité en voie de déshumanisation, et donc de désamour.
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