" Dominion " de C.J. Sansom 12/20
Et si le Royaume-Uni avait pactisé avec le diable !
En partant de l'hypothèse, pas si absurde que cela, que le 10 mai 1940, suite à la démission de Neville Chamberlain du poste de premier ministre, ce ne fut pas Winston Churchill qui le remplaça, mais Lord Halifax, un homme plus conciliant avec les nazis, et qui, voyant les pays européens ployer très rapidement sous la botte allemande, chercha un compromis avec Hitler. Cependant, même si Moscou est pris et que Staline a été pendu, l'armée allemande patauge toujours face à l'armée rouge, dans les interminables grands espaces de l'URSS. De l'autre côté du monde, l'armée japonaise piétine tellement en Chine qu'elle n'a pas le désir de venir titiller les américains à Pearl-Harbour. Ceux-ci n'entrant pas en guerre, du moins pas officiellement, la seconde guerre mondiale ne peut plus avoir lieu.
Hiver 1952, le Royaume-Uni est devenu un satellite de l'axe nazi. Depuis 12 ans, la résistance attend un signe de Winston Churchill pour embraser le pays. Parmi ces hommes : David Fitzgerald, un fonctionnaire d'origine juive se voit confier la périlleuse mission de venir en aide à un scientifique porteur d'un secret capable de mettre un terme à l'hégémonie nazie. Cependant, informée par ses espions, la Gestapo met tout en oeuvre pour mettre la main sur cet homme de science.
Comme toute uchronie, il est fascinant de voir tout ce qu'un simple changement de données de base peut engendrer comme conséquences. Ainsi les rôles sont redéfinis et les ennemis dans un monde peuvent devenir neutres dans l'autre. Cette réflexion sur une variante autour de la seconde guerre mondiale, de nombreux autres se la sont posée à leur tour, notamment Philip K Dick dans Le maître du haut château et Philip Roth dans Le complot contre l'Amérique.
Le point le plus fort du roman, celui qui fait tout l’intérêt et peut-être l'unique intérêt de ce livre, est tout le soin apporté par l'auteur à la vraisemblance des faits, pourtant inventés. En effet, toutes ces pages sur la géopolitique mondiale, sur la doctrine nazie, sur la propagande, sur la presse censurée, sur la colère du peuple britannique contre les attaques de la résistance, sur ceux qui veulent à n'importe quel prix rester pacifistes, ou ceux qui s'identifient sans nuance à un nationalisme exacerbé, sans oublier, à la mort d'Hitler, la guerre de succession entre l'armée allemande et les SS, bref, tout ce qui sert à mettre en relief le fond du roman est passionnant à lire ; par contre, dès que les protagonistes entre en scène, l’intérêt tient le temps de voir les tenants et les aboutissants des personnages, ensuite, ce n'est qu'un vain roman d'espionnage où la course poursuite prend vite le pas sur des considérations plus internationalistes. Si un curseur plus inspiré avait inversé la proportion de ces deux entités, le texte grandissait de façon fondamentale. Malheureusement, des pages sans un grand intérêt se succèdent les unes aux autres bien inutilement pour atteindre un roman qui frôle les 700 pages !
Néanmoins, ce livre doit être lu, car il interroge la pensée courante qui veut que seule l'Allemagne a pu accoucher du nazisme. En vérité, le nationalisme est un mal qui peut prendre naissance dans n'importe quel pays, dans la mesure où les forces le menant au pouvoir ne rencontrent pas une adversité significative. L'abjecte rôde partout. Attention, nul n'est à l'abri.
Il doit également être lu afin de nous faire prendre conscience de la fragilité des faits historiques. En effet, un simple grain de sable, tel l'effet papillon, peut changer la face d'un pays, d'un conflit, et pour finir : la face du monde. Assurément, sous la prédominance de ces mêmes grains de sable, année après année, jour après jour, le monde prend des directions insoupçonnées, des orientations originales, qui, si elles ont une seule particularité, c'est bien d'affirmer avec la plus grande péremptoirité qu'il est totalement impossible de se prononcer sur ce que le futur sera. Restons donc humbles envers demain.
Sans vouloir être un acharné du style, l'ensemble de l'écriture aurait gagné à loucher du côté d'un Williams Styron ou d'un Graham Green, car, quand le récit manque à ce point de relief, le style peut tout sauver.
Sous couvert d'écrire une uchronie, C.J. Sansom nous narre une énième histoire d'espionnage, heureusement qu'il encadre un récit tout en langueur dans un contexte historique digne de ce nom.
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