" Né d'aucune femme " de Franck Bouysse 18/20
Gabriel, le jeune abbé d'un village de France, est appelé à l'asile psychiatrique du coin pour préparer l'enterrement d'une femme nommée Rose qui vient d'y décéder. Suite à cette visite, Gabriel récupère deux carnets écrits par Rose et qui narrent son effroyable vie. A la lecture, notre bon curé en restera secoué et traumatisé jusqu'à la fin de sa carrière.
Difficile d'en dire plus sans déflorer l'essentiel du livre bien mystérieux par ailleurs. En effet, l'auteur ne situe pas son intrigue ni sur le plan géographique, ni sur celui du temps historique. Cependant, d'après une légère indication qui aura pu échapper à un lecteur distrait, disons que cela se déroule autour du milieu du XIXème siècle. Le corps du roman est composé de petits chapitres qui font alterner la voix des quelques témoins ayant connu Rose de très près, ou l'ayant présumé et fantasmé d'un peu moins près. Toutes ces paroles enchevêtrées donnent la mesure des lourds secrets, des nécessaires désaveux et des terribles enjeux qui sont la clef de l'intrigue.
Parfois le récit se veut rationnel, parfois il flotte tel un chant élégiaque, donnant une importance fulgurante aux mots, même s'ils sont perdus dans une aura diaphane et insaisissable ; au point que je dois reconnaître que l'incipit est incompréhensible ; l'ayant relu une fois le roman fini, je n'ai toujours pas saisi son intérêt, mais parfois il faut passer outre un début abscons car une vraie perle de thriller campagnard se dissimule derrière.
D'emblée le titre Né d'aucune femme nous propulse dans l'abject, dans l'odieux. Il possède une force intrinsèque, d'une violence folle. Pour venir doubler ce malaise, la photo de couverture nous renvoie l'image d'une mère nourricière, forte et digne face aux immondices de la vie ; en écho elle nous présente le personnage de Rose. Rarement le titre et la photo de première page d'un roman sont venus gifler le lecteur avec une telle force.
Ce roman noir nous parle du diable, celui qui se rit de nous, celui qui ignore nos malheurs, celui qui s'empare de nos simples vies pour s'en approprier jusqu'à l'âme. Inféodé à aucune idéologie il est dominateur et démiurge. Néanmoins, ce diable-ci n'est pas à chercher ailleurs ; il est là, niché, blotti en chacun de nous ; sous les vents contraires de nos destinées, il peut surgir à n'importe quel moment, libéré, ivre de pouvoir et de despotisme. Et quand le diable a deux têtes ?
L'autre approche du récit traite du puissant sentiment de culpabilité. Quand les affres de la vie, quand les carcans de nos sociétés nous poussent à faire des choix inappropriés, des choix arbitraires, des choix infâmes et nauséabonds, comment cet homme-là peut-il continuer à vivre avec une conscience en rebellion ?
Par l'intermédiaire d'un protagoniste, il est question de la lâcheté, celle qui fait que l'on accepte son sort et celui des autres sans sourciller. Bien sûr cela bout en soi, mais jamais les actes ne se conforment aux pensées séditieuses. Tous les malheurs du monde viennent de là, de cette envie irrepressible de ne pas faire de vagues, même quand la mer charrie des immondices putrides et délétères jusque dans notre jardin.
Même si on peut deviner un ou deux rebondissements, même si on a l'impression, du moins au début, d'avoir déjà lu ce genre d'histoire, même si certains passages sont sibyllins, il reste en fin de lecture une marque indélébile de la lutte éternelle entre le bien et le mal.
Indiscutablement, Né d'aucune femme restera dans les mémoires, par sa noirceur, par la volonté d'une jeune mère et par la puissance d'une écriture à l'os. Terriblement inoubliable.
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