" Les yeux de Milos " de Patrick Grainville 12/20
Milos est un beau jeune homme aux yeux bleus, le bleu de la beauté absolue, mais aussi, le bleu d'une certaine folie. Il vit à Antibes, y fait des études de paléontologie et se rend régulièrement au château Picasso, érigé face à la mer. Antibes où Picasso a connu l'extase avec Francoise Gilot, et où, Nicolas de Staël se suicida en 1955, en sautant de la terrasse de son atelier à 41 ans. Ces deux destins opposés fascinent Milos, avec d'un côté la longévité assurée et de l'autre la tragédie précoce. D'un bleu si lumineux, le regard de Milos, lui vaut celui de toutes les femmes, fascinées puis envoûtées, mais l'insupportant au plus haut point.
Deux ans après Falaise des fous, où l'auteur racontait de sa belle manière la Normandie à l'époque de l'impressionnisme, il récidive en appliquant le même schéma dans l'antre de la peinture moderne, avec en fil rouge, le bleu : le bleu irradiant des yeux de Milos, le bleu de la Côte d'Azur, le bleu de la mer, le bleu des cieux, le bleu de Picasso et le bleu de Nicolas de Staël. Autrement dit : une déclinaison en cinquante nuances... de bleu.
Sous la plume électrisée de Patrick Grainville, on croise pléthore de personnages historiques : Paul Eluard, Lee Miller, Dora Maar, Man Ray ou Adrienne Fidelin, et j'en oublie.
Le pivot du roman s'articule autour de l'été 1937, celui où tous les copains de Picasso vont venir chez lui se délasser dans sa maison où sur sa plage favorite, celle de la Garoupe. Cependant, 1937 est aussi l'année du tableau de Guernica où la démocratie espagnole subit l'innommable.
D'emblée, la première impression qui frappe, ce n'est point l'histoire ni les protagonistes, mais le style grandiloquant. Tout plein d'envolées lyriques, carambolant, tel un cabri, dans toutes les possibilités de l'écriture. Rien ne l'arrête, tout est prétexte à encore plus de délires, délires de sentiments, délires de couleurs, délires sexuels, délires exhibitionnistes. D'un même élan, Patrick Grainville met en superposition sa propre folie exubérante et orgiaque pour décrire les tableaux, que pour évoquer la passion, l'amour physique ou le désamour entre Milos et Marine.
Milos est en quête de bonheur, il hésite incessamment entre le soleil et la nuit, entre jouir et mourir, entre Picasso et De Staël, entre Paris et la Namibie, entre Marine et Samantha, entre Marine et Vivie, ...
Cependant, malgré cette profusion tourbillonnesque de sensualité, de couleurs, de parfums et de sentiments on se demande si cet étourdissement général n'est pas là pour suppléer à une abstraction cruelle de narration. En effet, des éclats de vies sont éparpillés çà et là, des faits historiques sont émiettés dans les interstices. Seules les histoires de cœur de Milos, bien que zigzagantes, semblent suivre une direction rationnelle. Dans cet entrelacs, difficile d'adhérer à une matière qui s'enfuit dès notre approche. En souhaitant tout articuler autour de l'été 1937, et en mettant en opposition ou en contrepoint la figure de Picasso : le Minotaure, le prédateur sexuel et le destructeur de femmes, face à De Staël le foudroyé, le suicidé en pleine recherche existentielle et délaissé par la gente feminine, l'auteur ressasse à l'envi une idée qui finit par n'avoir plus d'idée à force de resucé. Ainsi, passé les 100 premières pages, on a saisi le projet de l'auteur, et il en reste encore plus de 200 ! Alors le canevas se répète à l'infini, certes, avec beaucoup d'érudition, d'allitération et compagnie, mais la mécanique tourne en rond, en rond bleu, je veux bien l'admettre, mais en rond tout de même !
Avec exubérance, Patrick Grainville nous sert une oeuvre ambitieuse et gorgée de sensualité en plongeant dans l'intime de la recherche et de la création artistique, mais où l'élaboration de la construction fait gravement défaut. Dommage.
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