22 janv. 2022


 " L'insigne rouge du courage "   de Stephen Crane   17/20

      Mai 1863, en pleine guerre de Sécession et à la veille de sa toute première bataille, le jeune soldat nordiste Henry Fleming n'est plus tout à fait sûr de vouloir combattre. Ne s'est-il pas engagé sur un coup de tête stupide ? Face à l'ennemi, avec ses 17 ans, aura-t-il le cran de faire son devoir ?

      Publié en 1895, voici typiquement le genre de texte qui aspire à tutoyer l'universalisme. En effet, l'auteur utilise très peu le nom de son protagoniste principal, il le présente constamment comme "le jeune soldat". De même, pour les personnages secondaires, il récidive avec "le soldat en haillon", "le soldat qui parle fort", "le soldat de grande taille", etc. Ainsi, le texte se nimbe volontairement d'un anonymat singulier touchant à l'universel. Il s'adresse dès lors à tous les combattants du monde, sans souci de couleur de peau, de religions ou autres catégories. A la face du monde, toutes les recrues, tous les soldats ne sont que de simples figurants, d'ailleurs la hiérarchie militaire, vociférant ordres et contre-ordres augmente encore ce sentiment de grain de sable balloté dans le vent de l'Histoire. Et tout est à l'aune de ce précepte, en commençant par une écriture fuyant toute description minutieuse. La perte de repères y est constante. Ainsi, la confusion règne dans les esprits des soldats, dans les combats incertains, dans la géographie des lieux. De surcroît, les fumées des batailles, les forêts touffues et le brouillard omniprésent réhaussent encore ce sentiment d'intemporalité. Conforme à cette idée, la guerre prend la forme d'un dieu sanguinaire ou d'une luciférienne bête rouge, heureuse du bruit et de la fureur des armes. On peut l'identifier aussi à un vorace dragon aux dents acérées, avide de chair et de sang. Puis, quand enfin les canons se taisent, le cruel monstre se pose, rassasié de chair humaine, tel un effroyable dieu, pour l'instant repu.

      Dans ce capharnaüm guerrier, les sentiments du jeune soldat sont mis à rude épreuve, naviguant entre insouciance, peur, patriotisme et héroïsme. Lui qui avait simplement soif de connaître autre chose que le quotidien d'une ferme, lui qui rêvait d'ailleurs, de danger et pourquoi pas de gloire, va découvrir que les prairies derrière l'horizon ne sont pas forcément plus vertes que celles de sa terre natale.

      Dans son schéma antimilitariste, Stephen Crane démontre que par ses relents maléfiques et délétères, la guerre, perverse jusqu'à l'os, peut transformer le plus doux des agneaux en chat sauvage haineux, en bête survoltée la plus barbare. La guerre corrompt, puisque sous la pression fallacieuse de ses forces méphistophéliques l'homme devient pâte malléable, muant ses peurs abyssales en fureur ultime.

      Sous cette loupe littéraire, la guerre y est vue comme une maladie mondiale sans traitement thérapeutique. Pourtant, la paix est si belle, mais l'homme ne sait toujours pas maîtriser ses instincts guerriers venus du fond des âges, comme une malédiction insurmontable.

      Dans ce voyage en enfer, où l'écriture particulièrement soignée (certains passages sont d'une beauté glaçante), l'écrivain cherche avant tout à écrire une oeuvre qui restera, une oeuvre digne des valeurs universelles d'une humanité qui peine grandement à se hisser à un niveau supérieur. D'ailleurs Hemingway le considérait comme l'un des meilleurs romans de la littérature américaine.


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