22 févr. 2022



 " L'arbre-monde "   de Richard Powers   10/20

      Une botaniste visionnaire, un photographe/peintre obstiné, un avocat en propriété intellectuelle, une sténographe ayant en horreur la possession, une ingénieure influencée par le bouddhisme, un handicapé développeur de jeu vidéo et une étudiante ressuscitée d'une hydrocution vont tous voir leur vie bouleversée par l'intérêt qu'ils portent aux arbres.

      Richard Power nous offre une belle et intelligente réflexion sur les préjudices que fait l'homme à la nature, et en particuliers aux arbres. Avec une manière exagérément romancée, il y déploie des idées éthiques sur l'environnement, sans jamais oublier que nous en faisons tous partie. Ainsi, par souci de respect pour le végétal qui nous entoure il développe l'idée novatrice de créer enfin Les droits de la nature, en parallèle des Droits de l'Homme. En effet, comment espérer perdurer sur cette terre quand tout ce qui en fait son habitabilité est systématiquement et impunément détruit. A l'image de notre monde qui croît de façon exponentielle dans un monde bien évidemment fini. A un moment le déséquilibre est tel que la vie humaine n'est tout simplement plus une possibilité à long terme, mais un suicide sciemment consenti.

      Ainsi, le message de l'auteur ne souffre d'aucune contestation, il est juste et noble, par contre la forme, elle, a de quoi en désarçonner plus d'un. Moi le premier ! J'ai eu beau tenir les rênes pendant les 500 premières pages, c'est vous dire ma capacité d'adaptation, j'ai dû capituler sur les 200 dernières tant les circonvolutions narratives prennent d'interminables chemins, même pas forestiers, pour faire jouer de concert tous ces protagonistes dans un récit symphonique hautement cacophonique. En effet, même si de magnifiques passages littéraires nous soulèvent jusqu'au sommet des arbres, même si on adhère de tout cœur à la philosophie de l'auteur, souvent je me suis égratigné dans les broussailles d'un texte plein de ronces et d'orties, où la moindre relecture n'avait l'once d'une boussole. Que me suis-je laissé attirer si loin dans cette forêt de mots inextricables ? Me faut-il donc mettre le feu à cette ténébreuse frondaison labyrinthique pour espérer revoir la lumière du soleil ? Certes, j'y consens, mais avec une culpabilité sans nom, d'abord écologiquement parlant, puis surtout à cause de l'encensement médiatique dont ce livre bénéficie depuis sa sortie. Incompréhension !

      Ce chant d'amour à la nature, cette ode aux arbres, cet intelligent et passionnant raisonnement sur l'avenir de l'homme est gâché par la volonté de Richard Power de bâtir une cathédrale végétale littéraire. Malheureusement, trop de blablas inutiles finissent par plomber une oeuvre qui ne le méritait pas. Dommage ! 


12 févr. 2022


 " Le crépuscule de Shigezo "   de Saxako Ariyoshi   17/20

      Dans le Japon du milieu des années 60, la belle-mère d'Akiko décède brutalement. Dès lors, la lourde prise en charge de son beau-père, Shigezo, repose sur ses maigres épaules. Avec tous les problèmes concrets que cela implique car celui-ci, autrefois patriarche irascible qui se montrait particulièrement sévère envers sa belle-fille, est devenu un vieil homme atteint de sénilité. Pour Akiko, femme moderne travaillant à l'extérieur de son foyer, ses journées n'auront plus de fin, et que dire de ses nuits ?

      Dans un style tout en délicatesse et en subtilité, progressant par petites touches, Sawako Arioshi nous dessine le portait d'une femme courageuse, où le mot abnégation a vraiment un sens. En effet, Shigezo, glissant au fil des pages dans un état de dépendance totale, demandra un dévouement sans faille de la part d'Akiko pour répondre à ce sacerdoce peu ragoutant. Pourtant, au fil des jours, des liens insoupçonnables naissent entre eux, à l'image d'un amour authentique et désintéressé. On pourrait même parler de l'itinéraire d'une sainte, tant son altruisme nous rend admiratif. Quant à son mari, pourtant fils de Shigezo, il fuit toute responsabilité, ignorant royalement le sort de son père. Il préfère laisser la patate chaude à sa femme, allant même, par son silence assourdissant, lui reprocher le fait d'aller travailler ailleurs. Sous les lignes de l'auteure, se dessine toute la condition féminine de la femme japonaise, et par extension, de la femme en général.

      Sans écrire le mot d'Alzheimer une seule fois, Sawako Ariyoshi nous parle avec beaucoup de réalisme de cette vieillesse qui devient vite ingérable quand la tête ne répond plus, quand l'être humain vit de plus en plus vieux et quand la société, toujours à la traîne, ne pense le problème des structures d'accueil qu'une fois qu'il prend trop d'ampleur. Que faire de nos anciens, quand leur nombre devient exponentiel et que leurs facultés cognitives disparaissent dans les mêmes proportions ? Depuis l'aube de l'humanité, jamais l'allongement de la vie humaine n'a atteint un tel niveau, et jamais la cohabitation sous le même toit si exceptionnel. 

      Par un bel effet de miroir, le problème de la vieillesse rejaillit sur les différents protagonistes, considérant ainsi la perspective de leur propre fin de vie... et de la notre.

      On peut juste regretter, que derrière le texte se dessine en creux le portrait d'une féministe convaincue, qui ne trouve absolument aucun homme digne de considération, en effet, mis à part le fils d'Akiko, et encore, aucun personnage masculin n'est à la hauteur du défi, trop empreint d'égoïsme et d'indifférence.

      Incontestablement, ce livre est un hommage à la volonté des femmes confrontées aux plus dures épreuves de l'existence.

      Par son propos et son écriture sans fard, Sawako Ariyoshi dresse un panorama de nos sociétés, met à nu jusqu'à nos pensées les plus inavouables, et pourtant, les mieux partagées.


5 févr. 2022

 



HAÏKU   Partie CLXII


°°°°°°°°°


décembre ou janvier

entre deux averses

il pleut encore



bourrasque hivernal

le télescope par terre

tant pis pour les étoiles



aube après aube

abandon de la nuit

aux assauts du jour



affleurement de l'aube

dans le cobalt du ciel

des étoiles attardées



avions volants à vides -

sur nos mers européennes

maints migrants noyés