23 févr. 2015


Lipogramme !

Un Lipogramme est une contrainte qui consiste à produire un texte où volontairement on s’abstient d'utiliser une lettre ou plusieurs, ici le E. L'exercice est périlleux, je vous en propose mon premier résultat, en vous encourageant à m'envoyer les vôtres.


Un lutin tout flapi.

Jadis, dans un pays lointain, il y a dix fois dix ans, il arriva un fait angoissant : un jour tard, ou plutôt un soir noircit par la nuit ; un lutin tout gris apparu, si fourbu, qu'il paraissait tout knock-out !

Si las, qu'à son front, à son philtrum, à son cou, on put voir moult sillons ; bilan d'tant d'ans subis.

Il marchait à l'instinct dans un bois touffu, croisant par-ci par-là : un lapin cabriolant tout blanc, un gros hibou alangui tout brun, un goupil gambadant tout roux, ou un loup amaigri tout noir, qu'il saluait d'un bonsoir affaibli, mais amical.

Poussif, grison, pas frais pour un sou, Sir lutin traînait son lourd corps, si caduc. Il s'assit, dos à un sapin au tronc tout moussu, toussa, puis poussa un mini cri d'plaisir.

Trop lascif, il s'assoupit aussitôt, cogitant aux actions d'son vivant d'antan, où un milliard d'oscillations du hasard lui avait fait voir d'inouïs paradis sur Gaïa, son grand pays, où il allait jour sur jour, jouir d'instant fou, biscornu ou abracadabrant, puisqu'il donnait son amour sans souci d'un obscur, d'un jaloux, lui qui fut roi si plaisant, si conciliant, si droit d'son bon pays aux bois.

Au matin, par un froid vif, un naïf paysan trouva son corps avachit, sans plus aucun roulis. Oui, Sir lutin mourut ici, mais son minois rayonnait toujours d'incrustations d'infinis amours d'antan.




" La cuisinière d'Himmler "  de Franz-Olivier Giesbert  13/20



Du haut de ses 104 ans, Rose est un personnage truculent. A l'hiver de sa vie, et désireuse de faire partager celle-ci, tant ces tribulations furent carnavalesques, elle décide de l'écrire sans tabou.

Rose est née en 1907 en Turquie, elle subira de plein fouet le génocide arménien. Puis fuyant d'horribles protagonistes, elle s'arrêtera à Marseille où, d'autres misères l'attendront. Enfin, recueillie et adoptée par une famille campagnarde en Provence, elle apprendra le bonheur et la cuisine. Malheureusement le destin ne la laissera pas longtemps en paix, car ses bienfaiteurs décédant brutalement, elle sera confiée à d'épouvantables cousins. Cependant elle s'enfuira avec l'amour de sa vie à Paris, ouvrir un restaurant. Puis elle souffrira de l'horreur du nazisme, avant de connaître celui du maoïsme. 

De toutes ces ignobles péripéties, elle gardera comme une douleur au fond d'elle, le désir incoercible de vengeance. Qu'elle mettra en oeuvre avec délectation, afin d'apaiser ses blessures profondes, comme une catharsis.

L'ensemble forme une épopée drolatique d'une femme qui aime la vie et qui ne doute de rien, allant jusqu'à bout de sa logique passionnée et scandaleuse.

Franz-Olivier Giesbert se saisit du créneau de la dérision, pour faire traverser à Rose toutes les abjections de cet affreux XXème siècle. C'est d'ailleurs l'originalité du roman, qui n'est pas sans faire songer à celui de Jonas Karlsson " Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire", dont les similitudes entre l'invraisemblance des situations, l'âge des protagonistes (centenaires tous les deux) et les personnalités rencontrées (Staline, Mao, Hitler, Himmler, que des gens sympathiques !) les rapprochent plus que ne les divisent.

Cependant, ce roman picaresque aurait gagné à être plus développé, plus abouti, en effet, les situations se succèdent trop vite, sans approfondissement, comme-ci le lecteur ne devait surtout pas s'ennuyer ou réfléchir, à l'instar de Rose qui agit plus par pulsion qu'après introspection.

Indéniablement, la force de ce livre, c'est ce personnage féminin inflexible, animé d'une féroce rage de vivre, allant jusqu'à assouvir tous ses désirs les plus immoraux : qu'ils soient sexuels ou assassins !

19 févr. 2015


" Pastorale américaine "  16/20 de Philip Roth



Après trente six ans, Monsieur Zuckerman, un écrivain notoire, retrouve Seymour Levov dit " Le Suédois ": l'athlète vedette de son lycée de Newark. Toujours aussi splendide, Levov l'invincible, le généreux, l'idole des années de guerre, le petit-fils d'immigrés juifs est devenu un Américain plus vrai que nature.

Le Suédois a réussi sa vie : en faisant prospérer la ganterie paternelle, puis en épousant la très irlandaise Miss New Jersey 1949. Il demeure désormais loin du vacarme de la ville, dans une vieille maison de pierre, entourée d'un cadre très bucolique, où poussent des érables centenaires, une vraie pastorale américaine.

La photo semble des plus belles, cependant, elle est dramatiquement incomplète. Hors champ, il y a Merry, la fille rebelle, qui sera le grain de sable de cette si douce harmonie. Nous sommes dans les années 1960, et le spectre d'une jeune Amérique en effervescence se profile à l'horizon, celle qui dénoncera entre autre la boucherie vietnamienne. 

Où comment édifier avec application une structure familiale sans défaut, respectable, puis constater avec horreur qu'une brèche non résorbable vient de scier ces fondations, tellement pensées indestructibles.

Philip Roth nous propose ici une grande et profonde symphonie sur le rêve américain d'une famille d'origine juive d’Europe de l'Est, qui pense avoir réussi parfaitement son intégration. En effet, en trois générations, ils ont réussi à créer une entreprise de confection de gants de luxe plutôt florissante, en mettant en avant les valeurs chères de la société américaine, que sont : le travail, la persévérance et le libéralisme.

Seymour Levov, surnommé " Le Suédois", le dernier à reprendre l'affaire familiale, aura su au lycée marquer de son empreinte mythique le monde sportif, notamment au basket, au base-ball et au football. Puis il s'engagera dans les Marines avant la fin de la guerre, et enfin épousera Miss New Jersey, issue de la communauté irlandaise catholique, prouvant une fois de plus à la société, son envie d'assimilation totale.

C'est le bégaiement de la seule enfant du couple : Merry, une fille alerte et intelligente, qui marquera la première fissure de la structure. Puis avec l'adolescence, malgré un traitement de sa dyslexie, l'attitude de Merry se modifiera en devenant de plus en plus agressive, contestataire et rebelle. La guerre du Vietnam lui donnera le prétexte idéal pour déclamer avec force, une voix discordance dans l'harmonie familiale. Dès lors pour elle, être américaine, c'est haïr l'Amérique. Pour ses parents, c'est un mur d'incompréhension, ils la prennent pour une gamine exaltée, une adolescente aux idées confuses, comment leur propre enfant peut-elle s'aveugler au point de vouer aux gémonies le système qui a donné toutes les chances de succès à sa famille ? Comment peut-elle traîner dans la fange ses "capitalistes" de parents, comme si leur fortune avait été le produit d'autre chose que trois générations courageuses, tenaces et appliquées ?

Philip Roth dissèque avec minutie cette tragédie amère, sans prendre parti, mais en multipliant les questions de fond, celles qui font mal. Il n'aura de cesse d'explorer les moindres recoins de l'âme des protagonistes, que se soit avant le drame ou après, avec une justesse et une puissance qui font les grands romans.

Quiconque agit selon sa conscience, quand aucune règle de moral n'est bafouée, pense être dans le vrai, dans le juste. Pourtant la vie n'est pas si simple, en avançant, même dans les clous, on gêne l'autre, on lui fait de l'ombre, pire, on l'humilie.  L'échelle des valeurs est si aléatoire, si dérisoire, si fallacieuse.

C'est une remise en question totale du modèle américain, mais ces fondamentaux peuvent s'appliquer à tout le monde sans exception.

On ne ressort pas indemne de cette oeuvre, et on ne peut s'empêcher de se poser la question essentielle : " Suis-je responsable de l'attitude et des actions de mes enfants ? "

Nul doute que l'écriture de ce livre a dû accaparer toute la force de l'auteur, ici au sommet de son art, tant le propos est dense, lourd et abondant. Sa lecture en est parfois rendue ardue, tellement les flash-back et les opinions se bousculent, mais il en ressort une facette peu glorieuse de la condition humaine.

Qu'attend le jury des Nobel, pour lui attribuer celui de littérature ?


2 févr. 2015




" Demain j'arrête ! " de Gilles Legardinier 11/20




Julie, jeune femme excentrique et célibataire de 28 ans, apprend qu'un nouveau voisin vient d'emménager dans son immeuble. Trop curieuse, elle ne peut s'empêcher de s'y intéresser, d'autant qu'il porte un nom improbable : " M. Patatras ! ". Quand enfin, après maintes turpitudes, elle le voit en vrai, c'est le déclic : ce sera l'homme de sa vie !

Le point fort du roman, c'est sans conteste son extravagance, son côté déjanté et farfelu, qui baigne tout le livre d'une aura burlesque. D'où deux scènes particulièrement cocasses et réussies, qui font sourire par leur outrance : celle où Julie, victime de son irrépressible curiosité, se coince la main dans la fine ouverture de la boîte aux lettres de son nouveau voisin, juste au moment où celui-ci arrive. Puis celle de leur premier repas en tête à tête, gâché d'abord par une explosion, puis, par une énorme fuite d'eau digne du déluge. Chapeau M. Legardinier. Mais...

Mais je suis un vieil ours mal léché !

Précisons tout de suite les choses, je peux aisément comprendre que l'on se laisse séduire par la légèreté, la bouffée d'oxygène, et les bons sentiments que génère cette lecture. En effet pour se changer les idées, rien de mieux qu'une grosse louche de bonne humeur communicative. Pas de problème. Mais moi, fieffé animal de lecture, indécrottable rustre du mot, et invétéré de la phrase littéraire, j'ai malheureusement un besoin viscéral de plus. Ah, je ne veux surtout pas faire le méchant cynique, d'autant que l'auteur m'a l'air d'un type extrêmement sympathique, accessible, généreux. Il n'y qu'à lire les remerciements en fin de roman, pour comprendre toute l'humanité de Gilles Legardinier, qui vous ferait implicitement monter les larmes aux yeux. Non, pas question de lynchage ici. 

Néanmoins, ce qu'il m'a manqué, c'est une crédibilité du récit ; voir une boulangère jouer le rôle d'une riche héritière russe ; amplifier les mystères de la vie de son voisin, page après page, pour finir en eau de boudin ; attendre plus de 400 pages pour entrevoir un premier baiser ! J'ai eu parfois l'impression de lire une histoire à l'eau de rose, nuancée par une intrigue anorexique.

Ah, si vous voulez savoir ce qui se passe dans la tête d'une jeune femme, très déçue par son dernier compagnon, se questionnant face à son avenir professionnel, et étant prête à tout pour capturer l'homme qui lui parait être l’hidalgo parfait, ce roman est pour vous !

Par contre je nuancerais mon propos sur le questionnement professionnel de Julie, à savoir : Suis-je heureuse dans mon boulot d'employée de banque ? Suis-je à l'aise avec le baratinage que nous scandons à nos clients pour placer nos produits financiers ? Puis sa décision de changer de métier pour devenir vendeuse en boulangerie-pâtisserie m'interpelle. En effet, elle soulève le problème que se posent beaucoup de personnes, à savoir : Faut-il garder un métier pas trop mal rémunéré, mais où l'on ne s'épanouit guère ? Où est-on prêt à bosser dans un domaine peu lucratif, mais qui autorise un épanouissement personnel ?

Bref, un livre qui divertit : oui. Un roman de plage : oui. Insolite et loufoque : oui. A lire avec insouciance et frivolité : oui. Et tant pis pour tous ces pisse-froid comme moi, qui ne veulent que des livres de fond faisant avancer les idées, les idéaux et les idéalismes !