" Meursault, contre-enquête " de Kamel Daoud 14/20
Haroun est le frère de "l'arabe" tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du XXème siècle (L'étranger de Camus, pour les écervelés). Soixante ans après les faits, Haroun, qui depuis l'enfance a vécu dans l'ombre et le souvenir de son frère absent trop tôt, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l'anonymat, outré que son nom n’apparaisse même pas dans le roman original, comme une négation de l'individualisme de la société algérienne. Ainsi, Haroun rend justice à son frère en lui redonnant son vrai nom : " Moussa " mort sans le vouloir sur une plage inondée d'un soleil trop éblouissant.
Au début du roman, Haroun est un vieil homme toujours tourmenté. Soir après soir, dans un bar d'Oran, il rumine sa vie, rendue non-constructible par une mère assoiffée de vengeance, qui n'a toujours vécue que par et pour son fils aîné Moussa, assassiné par le désœuvrement d'un français. Haroun rumine sa solitude, créée par le vide d'un père qui disparaît du jour au lendemain et d'un frère qui n'existe plus. Haroun rumine aussi sa colère, face aux secousses intrinsèques de son pays victime de la barbarie de la colonisation, puis colère face à tous ces hommes qui se vautrent dans une religion qu'il ne comprend pas, car elle éloigne tous ces musulmans de la réalité économique du pays. Il rêve d'un pays débout, fier, avançant ensemble, et non pas d'un pays plaintif, noyant ses frustrations dans d'hypothétiques croyances stériles.
Ce livre se lit comme LE miroir de "l'étranger", en effet, dès l'incipit le ton est donné avec cette phrase de Kamel Daoud : " Aujourd'hui M'ma est encore vivante ". La symétrie quasi parfaite continue jusqu'au bout de l'oeuvre : Par le meurtre d'un français tué par Haroun, vingt ans après celui de son frère, histoire de boucler la boucle de sa justice, puis par la scène de l'emprisonnement et du tribunal, et enfin par la diatribe contre le religion musulmane qui se fait rabrouer fermement, j'oubliais l'histoire d'amour avortée, et enfin par le même nombre de pages des deux romans. Cette concordance était voulue, mais encore fallait-il avoir le talent nécessaire pour l'élaborer.
Malgré tout, ce livre ne me convient pas entièrement, oh certes l'écriture est parfaite, l'effet miroir quoique saisissant joue à fond, cependant ce qui m'aurait totalement convaincu, c'est de lire la vraie vie de Moussa, la victime. Qu'il nous raconte ses envies, ses sentiments, ses souffrances, sa vie quoi ! Car le questionnement légitime de sa présence sur cette plage aux heures les plus chaudes, reste mystérieusement en blanc ! Son frère a beau extrapoler sur des possibilités, le passé reste brouillardeux et ambigu. Dommage.
Cet hommage en forme de contrepoint rendu à l'oeuvre première, louvoie avec dextérité pour discourir de la lourde question jamais résolue de l'identité. Aujourd'hui encore, cette interrogation est plus que jamais de mise, avec celle de la complexité des héritages qui involontairement, mais logiquement conditionne et empoisonne toujours la vie réelle des algériens.
Un livre de douleurs, qui parle d'une Algérie qui se cherche depuis si longtemps.
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