17 juin 2015


" Ma cousine Rachel " de Daphné du Maurier   18/20


En Angleterre, pendant l'entre deux guerres, Philip, enfant orphelin, fut élevé par son cousin Ambroise, un riche propriétaire terrien, dans un magnifique domaine des Cornouailles surplombant la mer. Un jour Ambroise décide de faire un voyage en Italie, visiter l'une de ses cousines, dont le premier mari est décédé après un duel d'honneur. Cependant le séjour à Florence s'éternise, non sans raison, puisqu'il finit par épouser cette même cousine prénommée Rachel. 

Sans la connaître, Philip déteste aussitôt cette maudite Rachel, qui le prive de son cousin pour lequel il nourrit beaucoup d'affection. Puis un jour, Ambroise lui apprend par courrier qu'il est souffrant, que mille maux l'assaillent, qu'il n'a plus de force, et surtout, qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner. Philip ne met pas sa parole en doute, et vole d'emblée au secours de son cousin vers le pays du soleil...

Quand on évoque Daphné du Maurier, aussitôt, comme un réflexe pavlovien, on cite Rebecca ou Les oiseaux, certes il s'agit là de grands roman et nouvelle, néanmoins, s'il y a une oeuvre qui mérite d'être hissée au même rang d'honneur, c'est bien Ma cousine Rachel. Malheureusement, elle reste toujours un cran derrière, comme si elle était issue d'un deuxième choix, bien péjoratif. 

Erreur ! Sombre erreur ! Inique erreur ! Ce roman révèle implicitement tout le talent de la célèbre romancière anglaise pour élaborer un suspens psychologique d'une rare intensité. Un bijou de maîtrise où rien n'est en trop, et c'est si rare de nos jours que je me permets de le souligner ici.

Un bon point pour cette écriture fluide et gracile d'où émane un parfum légèrement surannée, s'identifiant à une époque, une génération, si lointaine aujourd'hui. Et puis cette magnifique description de cette Italie des années 1920/30, cuite sous les rayons brûlant d'un soleil assassin. Je n'ai pu m'empêcher de la relier au Voyage en Italie de Stendhal. Le contraste abyssal avec les Cornouilles crée un relief saisissant de verticalité. 

Pour ceux qui connaisse Daphné du Maurier, on retrouve les lieux, les préoccupations, qui obnubile l'écrivaine : d'abord ses mythiques Cornouailles, région qui a toujours eu les faveurs de son coeur, avec cette grande bâtisse dressée à peu de distance d'une côte rocheuse qui laisse entendre les respirations de la mer, puis ces personnages autant naïfs que maladroits, cherchant à comprendre ce qui leurs arrivent, et qui, candides, agissent finalement en aggravant les choses.

En effet ce jeune Philip, ce jeune bêta de Philip devrais-je dire, après avoir décidé qu'il ne s’embarrasserait nullement de la partie féminine du monde, préférant se consacrer à ses terres et à son domaine, renie ce préambule et finit par rechercher un bonheur impossible auprès d'une étrangère issue d'un pays lointain pour l'époque, alors qu'à quelques lieues de chez lui, existe une belle jeune femme éperdue d'amour sincère pour lui, et que dans sa candeur ouaté, il ignore stupidement.

Naturellement le personnage de Rachel, haut en couleur, est magnifique et diabolique de machiavélisme, elle manipule tout son petit monde comme une reine, elle inonde tout le roman de son aura malsaine. Mais qui est-elle vraiment ? Ange ou succube ? Tous les personnages, même les deuxièmes couteaux sont admirablement bien mis en scène, ils contribuent à augmenter le mystère, à densifier propos. 

De toute évidence, Daphné du Maurier s'amuse de nous avec une ambiguïté distillée de main de maître : elle nous fait douter de tout, de Rachel, d'Ambroise, où est vraiment la vérité dans tout ce micmac de sentiments contraires ?

Bref, c'est une mécanique implacable, équivoque, d'une habileté démoniaque, qui peut rendre schizophrène le lecteur ; écrite par une femme au sommet de son art.  Et même en refermant le roman, certains douteront encore de ce qu'ils ont lu !



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