" La petite communiste qui ne souriait jamais " de Lola Lafon 13/20
Ce fut une révélation mondiale, aux jeux olympiques de Montréal en 1976, Nadia Comaneci par son audace, stupéfie d'abord les juges, puis le monde entier, ahuris de voir une athlète obtenir la note suprême de 10/10, à trois agrès différents. Pendant 4 ans, jusqu'aux jeux de Moscou en 1980, elle marquera de son empreinte indélébile la gymnastique féminine.
Les ordinateurs d'alors sont devenus fous, au point d'afficher la note de 1.00, au lieu de 10.0, une note impossible à obtenir à l'affichage, puisque pas encore paramétrée. Si Nadia Comaneci avait été jugée selon le barème des autres favoris au titre, avec sa grâce doublée d'une puissance incroyable pour une jeune fille de moins de 15 ans, elle aurait dû avoir une note supérieure au 10, ce qui était techniquement impossible pour les ordinateurs, et totalement inconcevable pour les juges.
A partir de faits historiques, d'article de journaux, Lola Lafon va reconstituer différentes périodes de la vie de Nadia Comaneci, celle qui révolutionna la gymnastique en la dépoussiérant d'un classicisme bien archaïque. Cependant il faut bien avoir en tête que pour atteindre ce très haut niveau, il faut endurer maintes souffrances pendant des années. Un travail de forcené, hautement rigoureux, inévitablement douloureux, que l'on pourrait qualifier d'obsessionnel.
Le roman se présente comme des tableaux successifs étudiants le parcours de cette remarquable athlète, en essayant avec plus ou moins de bonheur d'élucider les interstices laissés vacants dans la vie de la championne. Mais ce remplissage de blanc ne peut faire l'économie de la dimension politique du pays, qui au final, articule, englobe, puis emporte tout au passage, comme le vent de l'histoire, soufflant dans ces pages comme une quête de la liberté, de celle que l'on ne peut pas raisonnablement trouver, car trop éloignée des bassesses humaines.
Bref, la Roumanie d'alors est régentée d'une main de fer par son dictateur Ceausescu, un dirigeant qui prit quelque liberté d'avec sa grande soeur : L'URSS, créant des tensions, dont les rencontres sportives, étaient comme des combats vitaux pour eux. D'où la mise en avant de Nadia Comaneci, représentant l'héroïne type communiste.
Puis en décembre 1989, quelques semaines après la chute du mur de Berlin, le peuple roumain, aidé de personnages interlopes, s'est révolté ; assassinant trop rapidement son dirigeant et son épouse, pratique pour éviter toute discussion compromettante. Cependant il y a des lendemains de fête douloureux, amères ; interrogés dans la rue, les roumains s'expriment : " Avant nous avions tous un travail et un appartement, personne n'était au chômage, aujourd'hui, il y a de tout dans les magasins, et on n'a pas les moyens d'acheter quoi que ce soit, alors que le système est meilleur. Sous Ceausescu mes parents allaient à la mer, à la montagne, au restaurant, au concert, au cirque, au cinéma ! Tout le monde gagnait plus ou moins la même chose, les prix n'augmentaient presque pas ! Certes, ils avaient constamment peur, c'est vrai, peur qu'on ne les entende dire des choses interdites, aujourd'hui, on peut tout dire, seulement personne ne nous entend... Avant on n'avait pas l'autorisation de quitter la Roumanie, mais aujourd'hui, personne n'a les moyens de quitter le pays. Ah la censure politique est terminée, mais elle a été remplacée par la censure économique.
Devant une affichette annonçant un rassemblement en hommage à la révolution de 1989, les voix s'élèvent : " En 1989, les révoltés ont-ils donné leur vie pour que nous ayons plus de Coca-Cola et de MacDonald's ? Ont-ils donné leur vie pour que nous devenions esclaves du FMI ? Sont-ils morts pour que que nous nous enfuyons toujours plus loin de cette Roumanie qui ne peut nous offrir une vie décente ? Morts pour que des milliers de personnes âgées dorment dehors et meurent de froid ? Sont-ils morts pour que l'église orthodoxe soit cette affaire prospère qui ne paye aucun impôt à l'état ? "
Le communisme a détruit le pays, malgré tout le nouveau-pseudo-régime libéral continu de le vider de sa substance intrinsèque. Au point que le gouvernement roumain actuel déroule le tapis devant de voraces sociétés canadiennes qui chassent les habitants de leur village pour faire exploser des montagnes, afin de se procurer ce si précieux et destructeur gaz de schistes, Saint Graal de tous ces vautours de l'énergie.
J'arrête ici ma critique anticapitaliste, mais à mes yeux, c'est la partie la plus intéressante du roman, même si, à mon grand regret, Lola Lafon ne fouille pas assez la montée en puissance du mécontentement du peuple roumain, alors que l'on s'étale en long et en large sur des plages " comaneciennes ", qui ne me laisse qu'à moitié convaincu, hormis naturellement le début de roman, magnifique d'élasticité aérienne, quand Nadia Comaneci fait parler son corps devant une planète ébahie et éblouie, avec en sortie finale d'exercice : " Son dos arqué dessine une virgule jusqu'à ses doigts qui chatouillent le ciel, elle salue ".
Je terminerais en laissant la parole à Nadia Comaneci, qui dira fin 89 : " Je rêvais de liberté, j'arrive aux Etats-Unis et je me dis : c'est ça la liberté ? Je suis dans un pays libre et je ne suis pas libre ? Mais où, alors, pourrais-je être libre ? ".
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