" Le collier rouge " de Jean-Christophe Rufin 18/20
En 1919, dans une petite ville du Berry écrasée par une chaleur insupportable, un héros de guerre nommé Morlac est retenu prisonnier au fond d'une caserne déserte. Devant la porte, son chien tout cabossé aboie jour et nuit comme un forcené. Non loin de là, dans la campagne, une jeune femme usée par le travail de la terre, trop instruite cependant pour être une simple paysanne, attend et espère. Le juge qui arrive pour démêler cette affaire est un aristocrate dont la guerre a fait vaciller les principes.
Grâce à une anecdote historique racontée par l'un de ses amis photographe, Jean-Christophe Rufin nous brosse une fois de plus un roman bigrement intéressant, pétri d'humanité, mais trop court !
L'année 1919 est celle d'une France exsangue, toujours salement étourdie par le cataclysme mortifère qui vient de lui faire perdre toute une génération d'hommes. C'est l'heure du jugement des derniers soldats s'étant soi-disant mal-conduit, comme c'est le cas de ce Morlac. Mais cette France qui se reconstruit lentement ne veut plus entendre parler de mort, cela suffit, trop de sang a coulé, trop de familles restent mutilées, trop de souffrance injustifiée. Dans cette ambiance lourde, un juge vient tenter de comprendre l'acte transgressif du soldat Morlac ; ce paysan qui lit du Victor Hugo, du Marx et du Kropotkine a de quoi fortement intriguer.
Tout l'art de l'auteur, mine de rien, c'est de transformer une histoire fallacieusement banale en hymne au pacifisme. D'ailleurs ce roman peut s'identifier comme un pendant magnifique à la fraternisation qui eut lieu à Noël 1914 dans les tranchées autour de la ville d'Ypres entre les soldats franco-anglais et allemands.
D'emblée ce qui ressort de cette brève lecture, c'est l'espérance chimérique, une utopie si jouissive née de la volonté de certains hommes plus téméraires que d'autres : se dresser contre les forces du mal, pas celles que l'on nous dit de détester pour sauver la nation, mais celles qui décident de tout sans jamais en payer le prix du sang : les industriels, les financiers, les décideurs, avides de profiter de situation extrême où le peuple ne compte pas. Cependant cette voix quelque peu anarchique est-elle dénuée de toute exaction ? L'histoire est là pour nous prouver que le système idéal est encore à inventer.
Avec son récit, Jean-Christophe Rufin met un doigt sur le pouvoir des livres, la puissance de la plume, qui peuvent faire chavirer une existence. Ces objets de papier si inoffensifs pour certains, et si dangereux pour d'autres qui n'hésiteront pas, fort de leur autorité, à les interdire sinon à les brûler. L'histoire passée comme présente est là pour le dire.
Roman sur la fraternité, l'amitié également ou plutôt la fidélité, celle des hommes d'abord, labile, précaire et élastique suivant les circonstances, puis celle des animaux, pure et indéfectible, sans perversion.
Néanmoins, je lui en veux d'avoir tout raconté en seulement 160 pages ! Ah, là où tant d'autres s'étalent en longueur plombante, lui se limite à l'essentiel, sans le moindre rallongement superfétatoire, à l'image de Flaubert dans Un cœur simple. Mais trop frustrant pour ceux qui apprécient l'écrivain !
Bref, Jean-Christophe Rufin nous donne à connaître des hommes que la différence de classe oppose, mais qui sous les coups de boutoirs d'une boucherie mondiale, se métamorphoseront en d'autres hommes, moins dupes d'un monde qui tourne à l'envers.
Où comment en quelques pages pétries d'intelligence, un écrivain au sommet de son art, cisèle un récit simple sur l'absurdité de la guerre.
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