" La carte et le territoire " de Michel Houellebecq 15/20
Si le personnage central de ce roman, Jed Martin, devait vous en raconter l'histoire, il commencerait peut-être par vous parler d'une banale panne de chauffe-eau en pleine période de froid, un certain 15 décembre. Ou de son père retraité, un ancien architecte raté, car trop visionnaire, avec qui il passa seul de si nombreux réveillons de Noël.
Il évoquerait obligatoirement Olga, une jolie Russe rencontrée au début de sa carrière, lors de la première grande exposition de son travail de photographe : une distorsion de cartes routières Michelin. De cette histoire d'amour naît une osmose parfaite. Cependant Jed, par un fumeux sentiment d'à-quoi-bon, laissera s'envoler l'amour de sa vie vers d'autres cieux, gâchant ainsi la cristallisation d'une belle histoire familiale. Il s'en mordra les doigts, mais à quoi bon griffer ainsi sa conscience de regrets éternels ?
Puis il devrait évoquer sa rencontre avec l'écrivain Michel Houellebecq, l'homme qui lui écrira son texte de présentation pour sa prochaine exposition de peinture. Jed Martin partageant ainsi quelques repas, riches en discussions sur l'île d'exil volontaire de l'écrivain : l'Irlande.
Il devrait narrer également comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une sordide affaire criminelle à vous glacer le sang.
On reconnaît bien le style décousu des romans de Michel Houellebecq qui prennent de la matière dans les problèmes de société et progressent d'une démarche désenchantée et mélancolique, nous proposant de réfléchir à une possibilité d'avenir crédible et logique.
Il ne faut pas se voiler la face. Il y a peu d'optimisme derrière les mots résolument désabusés de l'auteur.Il choisit une foultitude de thèmes : la création artistique, le marché de l'art, l'argent, l'amour, la parole donnée, le rapport toujours délicat au père, les inévitables secrets de famille, l'euthanasie, le mystère de l'inspiration, la chance qui passe. Il nous raconte également une certaine France, celle des richesses de la campagne, devenant dans un cours avenir : un paradis touristique. Il y a pléthore de sujets me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Dès lors certains sont traités avec une frustrante rapidité qui élague un peu trop vite de singulières pistes.
Le portrait tout en désillusion du père architecte est vraiment réussi. Son ardente jeunesse pleine d'ambition et de créativité lui fit dessiner de nombreux projets innovants, mais qui deviendront caduques devant l'autel de la réalité. Il se cantonnera alors à de banales constructions touristiques, indignes de ses capacités d'innovation.
Curiosité originale : Michel Houellebecq s'insère lui-même dans le roman, mégalomanie ou narcissisme ? Pas vraiment, en effet, il décrit un personnage peu flatteur de misanthrope, sale et têtu. Peut-être pour se protéger des foules et de n'importe quel quidam, trop empressés à venir l'ennuyer et l'incommoder pour de futiles raisons. Où alors souffre-t-il d'un singulier masochisme ?
Il en ressort le roman d'un écrivain désabusé qui digère un aujourd’hui peu enthousiasmant, pour le traduire en un demain amer et hasardeux où il faudra se réjouir de la moindre étincelle de bienveillance, denrée en raréfaction totale.
Houellebecq est un auteur intéressant, il ne s'encombre d'aucun consensus, il suit sa route sans louvoyer, fidèle à une nonchalance trompeuse. Il porte à discussion, même à débattre fermement,. Chacun de ses romans est un miroir, un caillou dans la chaussure d'une société condamnée à fermer les yeux pour continuer à avancer, plus ou moins vite... jusqu'au précipice !