31 mai 2016



" La carte et le territoire " de Michel Houellebecq    15/20



Si le personnage central de ce roman, Jed Martin, devait vous en raconter l'histoire, il commencerait peut-être par vous parler d'une banale panne de chauffe-eau en pleine période de froid, un certain 15 décembre. Ou de son père retraité, un ancien architecte raté, car trop visionnaire, avec qui il passa seul de si nombreux réveillons de Noël. 

Il évoquerait obligatoirement Olga, une jolie Russe rencontrée au début de sa carrière, lors de la première grande exposition de son travail de photographe : une distorsion de cartes routières Michelin. De cette histoire d'amour naît une osmose parfaite. Cependant Jed, par un fumeux sentiment d'à-quoi-bon, laissera s'envoler l'amour de sa vie vers d'autres cieux, gâchant ainsi la cristallisation d'une belle histoire familiale. Il s'en mordra les doigts, mais à quoi bon griffer ainsi sa conscience de regrets éternels ?

Puis il devrait évoquer sa rencontre avec l'écrivain Michel Houellebecq, l'homme qui lui écrira son texte de présentation pour sa prochaine exposition de peinture. Jed Martin partageant ainsi quelques repas, riches en discussions sur l'île d'exil volontaire de l'écrivain : l'Irlande. 

Il devrait narrer également comment il aida le commissaire Jasselin à élucider une sordide affaire criminelle à vous glacer le sang.

On reconnaît bien le style décousu des romans de Michel Houellebecq qui prennent de la matière dans les problèmes de société et progressent d'une démarche désenchantée et mélancolique, nous proposant de réfléchir à une possibilité d'avenir crédible et logique.

Il ne faut pas se voiler la face. Il y a peu d'optimisme derrière les mots résolument désabusés de l'auteur.Il choisit une foultitude de thèmes : la création artistique, le marché de l'art, l'argent, l'amour, la parole donnée, le rapport toujours délicat au père, les inévitables secrets de famille, l'euthanasie, le mystère de l'inspiration, la chance qui passe. Il nous raconte également une certaine France, celle des richesses de la campagne, devenant dans un cours avenir : un paradis touristique. Il y a pléthore de sujets me direz-vous, et vous n'aurez pas tort. Dès lors certains sont traités avec une frustrante rapidité qui élague un peu trop vite de singulières pistes.

Le portrait tout en désillusion du père architecte est vraiment réussi. Son ardente jeunesse pleine d'ambition et de créativité lui fit dessiner de nombreux projets innovants, mais qui deviendront caduques devant l'autel de la réalité. Il se cantonnera alors à de banales constructions touristiques, indignes de ses capacités d'innovation.

Curiosité originale : Michel Houellebecq s'insère lui-même dans le roman, mégalomanie ou narcissisme ? Pas vraiment, en effet, il décrit un personnage peu flatteur de misanthrope, sale et têtu. Peut-être pour se protéger des foules et de n'importe quel quidam, trop empressés à venir l'ennuyer et l'incommoder pour de futiles raisons. Où alors souffre-t-il d'un singulier masochisme ?

Il en ressort le roman d'un écrivain désabusé qui digère un aujourd’hui peu enthousiasmant, pour le traduire en un demain amer et hasardeux où il faudra se réjouir de la moindre étincelle de bienveillance, denrée en raréfaction totale.

Houellebecq est un auteur intéressant, il ne s'encombre d'aucun consensus, il suit sa route sans louvoyer, fidèle à une nonchalance trompeuse. Il porte à discussion, même à débattre fermement,. Chacun de ses romans est un miroir, un caillou dans la chaussure d'une société condamnée à fermer les yeux pour continuer à avancer, plus ou moins vite... jusqu'au précipice !



22 mai 2016


" Les braises " de Sandor Marai     14/20



Au lendemain de la première guerre mondiale, après 41 ans de séparation, un général à la retraire nommé Henri reçoit le courrier annonçant le retour dans la région de son ami de jeunesse, Conrad. Le vieil homme l'invite aussitôt pour un dîner mémorable au cours duquel les grandes lignes de leur passé commun, mais aussi de leur divergence, seront évoquées avec une franchise totale. Henri, ayant eu 41 ans de réflexion, saura avec une justesse folle, combler tous les vides, que le départ soudain de Conrad avaient laissés en blanc.

Malgré une entrée en matière narrative classique, un monologue prend le relais pour en faire un livre très théâtral. Rendant ainsi, tout au long de cette longue soirée, le personnage de Conrad transparent, comme un faire valoir de son hôte. Cependant la réflexion, que dis-je, l’introspection d'Henri étant si fouillée, si précise de déduction et d'analyse, que quelques acquiescements succincts de la part de Conrad suffisent à emballer le tout intelligemment. L'auteur plaçant la réflexion sur un piédestal, comme une porte essentielle pour saisir toutes les nuances des comportements de chacun, et d'en sortir leurs tenants et par extension, leurs aboutissants.

Sandor Marai disserte ici sur la valeur réelle de l'amitié, ce lien humain le plus noble, comme le dit le général. Existe-elle vraiment l'amitié désintéressée qui perdure au fil du temps sans faillir ? L'auteur en doute fortement. Tout d'abord il narre l'histoire somme toute classique de ces deux amis qui se sont côtoyés plus de 20 ans, juste avant la fuite inexpliquée de Conrad vers des pays tropicaux. 

Ensuite, le personnage du Général en fait une toute autre histoire bien plus noire, faite de la jalousie de Conrad d'abord envers la richesse d'Henri, puis, au moment où la belle Christine passe, c'est Henri qui parvint à se marier ! Dés lors comment une telle amitié pourrait-elle persister dans le temps ? D'autant que Conrad se passionne pour la musique, celle qui élève l'âme, tandis qu'Henri en militaire bourru, l'exècre.

La forme du roman, se réclame du huis clos, pourtant la violence des sentiments éclate le cadre en mille morceaux. C'est la réussite de l'oeuvre, parler d'un ton presque neutre d'une animalité sous jacente, mais que les années ont su muer en circonspection.

Un petit roman, admirablement bien écrit, qui reste en mémoire pour la complexité des relations humaines qu'il développe, à l'effigie de tous ces non-dits, qui sans en avoir l'air, laissent dans nos consciences de sales empreintes indélébiles.



9 mai 2016




" Mapuche " de Caryl Férey   14/20



Rubén, fils du célèbre poète Calderon, soit-disant suicidé dans les geôles de la dictature argentine, est un rescapé de l'enfer. Mais à quelles conditions ? Trente ans plus tard, il consacre sa vie à la recherche des disparus du coup d'état militaire du 24 mars 1976. Lors de l'une de ses investigations, il croisera la route de Jana, une jeune sculptrice mapuche, qui le prie d'enquêter sur le meurtre de son ami Luz. De nombreux points communs vont les rapprocher. Tous deux unis dans une douleur insensée, alliée à une colère extrême. Cependant en Argentine, hier comme aujourd'hui, on doit toujours se                                                                 méfier des personnes à qui l'on s'adresse, les ex-tortionnaires rôdent toujours.

Caryl Férey nous délivre là un thriller sanguin et fougueux, né d'une période noire de l'histoire argentine qui fit 30 000 disparus, pour ne pas dire morts. Une phrase du roman résume parfaitement cette tragédie : La cruauté des hommes n'a pas de limites. Certaines pages sont insoutenables à lire, celles qui parlent de sévices, de sadisme, d'exactions et de barbarisme. L'église catholique une fois de plus n'en sort pas blanc blanc, comme par hasard, corrompue jusqu’à la corde, avec en corollaire cet Etat papal et son consubstantiel silence assourdissant !

A la question légitime, qui a formé ces militaires ? Caryl Férey répond sans sourciller : Concentrées dans la zone du canal de Panama, les écoles de guerre des Etats-Unis avaient instruit des milliers de militaires, qui formeraient les forces de sécurité des futures dictatures : contrôle social de la population, méthodes d'interrogatoires, tortures. Par un effet de dominos tombèrent sous le joug de régimes militaires le Paraguay (1954), le Brésil (1964), la Bolivie (1971), le Chili et l'Argentine (1976). Inutile d'en dire plus ! Ah si, juste une chose, en 1978 la Coupe du Monde de Football eut lieu en Argentine, soit en plein coeur de cette période noire, sous les yeux des plus hautes autorités de ce sport ! Sans commentaire !

Il existe une Association de défense des Droits de l'Homme nommée : Les Mères de la place de Mai, dont les enfants ont disparu pendant la dictature militaire argentine de 1976 à 1983, elles défilent tous les jeudis à Buenos Aires, autour de l'obélisque sur cette même place (Plaza de Mayo), en signe de protestation. Certaines des fondatrices ont été assassinées en décembre 1977, en compagnie de deux religieuses françaises par des hommes de la junte militaire.

Jana, l'héroïne, est une survivante de la grande tribu Mapuche, originaire d'une communauté aborigène de la zone centre-sud du Chili et de l'Argentine, également appelée Araucans. Dans le courant de l'histoire, ni les Incas, ni les Conquistadors, ni l'armée régulière argentine ne réussirent entièrement à les soumettre. Naturellement leur population fut grandement décimée mais elle garde encore aujourd'hui un esprit rebelle de défiance face à toute forme d'autorité. Cette peuplade opprimée, sert de façon idéale Caryl Férey pour construire un personnage haut en couleur et en caractère, qui par ses convictions et son jusque-boutisme restera longtemps imprimé dans nos fluctuantes mémoires de lecteurs !

La verve tonitruante de l'auteur sert admirablement le contexte du roman, que ce soit à propos de l'enfer du régime ou dans la tendresse inespérée que recherchent les protagonistes. Maniée avec dextérité, sa plume alerte nous renvoie donc souvent comme un écho d'Éros et Thanatos, les célèbres dieux de la mythologie grecque, tant elle mord, tant elle égratigne, tant elle broie, cependant elle connaît aussi la caresse qui berce et qui étreint. Un résumé de la vie quoi !

Bref, Caryl Férey nous brosse avec talent un panorama effrayant d'un pays confronté à sa propre histoire, comme une entreprise salutaire pour faire tomber les masques, afin de s'autoriser le droit à nouveau d'espérer un avenir possible pour un peuple qui ne demande que cela.



3 mai 2016


HAIKU     Partie III

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patience, patience
tout arrive un jour
même l'impensable

y a-t-il une vie après la mort ?
cependant 
y en a-t-il une... avant ?


un très vieil arbre
témoin d'un vécu
tel le doigt de la nature


os, trace d'homme
reliquat dérisoire
de l'ostracisme


l'humanité
proposition suicidaire 
de la nature