9 mai 2016




" Mapuche " de Caryl Férey   14/20



Rubén, fils du célèbre poète Calderon, soit-disant suicidé dans les geôles de la dictature argentine, est un rescapé de l'enfer. Mais à quelles conditions ? Trente ans plus tard, il consacre sa vie à la recherche des disparus du coup d'état militaire du 24 mars 1976. Lors de l'une de ses investigations, il croisera la route de Jana, une jeune sculptrice mapuche, qui le prie d'enquêter sur le meurtre de son ami Luz. De nombreux points communs vont les rapprocher. Tous deux unis dans une douleur insensée, alliée à une colère extrême. Cependant en Argentine, hier comme aujourd'hui, on doit toujours se                                                                 méfier des personnes à qui l'on s'adresse, les ex-tortionnaires rôdent toujours.

Caryl Férey nous délivre là un thriller sanguin et fougueux, né d'une période noire de l'histoire argentine qui fit 30 000 disparus, pour ne pas dire morts. Une phrase du roman résume parfaitement cette tragédie : La cruauté des hommes n'a pas de limites. Certaines pages sont insoutenables à lire, celles qui parlent de sévices, de sadisme, d'exactions et de barbarisme. L'église catholique une fois de plus n'en sort pas blanc blanc, comme par hasard, corrompue jusqu’à la corde, avec en corollaire cet Etat papal et son consubstantiel silence assourdissant !

A la question légitime, qui a formé ces militaires ? Caryl Férey répond sans sourciller : Concentrées dans la zone du canal de Panama, les écoles de guerre des Etats-Unis avaient instruit des milliers de militaires, qui formeraient les forces de sécurité des futures dictatures : contrôle social de la population, méthodes d'interrogatoires, tortures. Par un effet de dominos tombèrent sous le joug de régimes militaires le Paraguay (1954), le Brésil (1964), la Bolivie (1971), le Chili et l'Argentine (1976). Inutile d'en dire plus ! Ah si, juste une chose, en 1978 la Coupe du Monde de Football eut lieu en Argentine, soit en plein coeur de cette période noire, sous les yeux des plus hautes autorités de ce sport ! Sans commentaire !

Il existe une Association de défense des Droits de l'Homme nommée : Les Mères de la place de Mai, dont les enfants ont disparu pendant la dictature militaire argentine de 1976 à 1983, elles défilent tous les jeudis à Buenos Aires, autour de l'obélisque sur cette même place (Plaza de Mayo), en signe de protestation. Certaines des fondatrices ont été assassinées en décembre 1977, en compagnie de deux religieuses françaises par des hommes de la junte militaire.

Jana, l'héroïne, est une survivante de la grande tribu Mapuche, originaire d'une communauté aborigène de la zone centre-sud du Chili et de l'Argentine, également appelée Araucans. Dans le courant de l'histoire, ni les Incas, ni les Conquistadors, ni l'armée régulière argentine ne réussirent entièrement à les soumettre. Naturellement leur population fut grandement décimée mais elle garde encore aujourd'hui un esprit rebelle de défiance face à toute forme d'autorité. Cette peuplade opprimée, sert de façon idéale Caryl Férey pour construire un personnage haut en couleur et en caractère, qui par ses convictions et son jusque-boutisme restera longtemps imprimé dans nos fluctuantes mémoires de lecteurs !

La verve tonitruante de l'auteur sert admirablement le contexte du roman, que ce soit à propos de l'enfer du régime ou dans la tendresse inespérée que recherchent les protagonistes. Maniée avec dextérité, sa plume alerte nous renvoie donc souvent comme un écho d'Éros et Thanatos, les célèbres dieux de la mythologie grecque, tant elle mord, tant elle égratigne, tant elle broie, cependant elle connaît aussi la caresse qui berce et qui étreint. Un résumé de la vie quoi !

Bref, Caryl Férey nous brosse avec talent un panorama effrayant d'un pays confronté à sa propre histoire, comme une entreprise salutaire pour faire tomber les masques, afin de s'autoriser le droit à nouveau d'espérer un avenir possible pour un peuple qui ne demande que cela.



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