11 juin 2016


" Je ne suis pas celle que je suis "  de Chahdortt Djavann  15/20


Titre pour le moins mystérieux, à l'instar du roman d'ailleurs, qui nous propose de suivre le parcours entrelacé de deux femmes, l'une à Paris, l'autre en Iran. Cependant, ne s'agirait-il pas de la même femme ? Rien ne le prouve, mais rien ne prouve le contraire non plus !

Ah... il faut accepter de se laisser prendre par la main par Chahdortt Djavann pour aller à la rencontre d'une femme de 27 ans, non nommée, d'origine iranienne, habitant depuis peu de temps à Paris, et qui décide de suivre une longue psychanalyse, un tantinet longuette, tant les éléments de sa vie, toujours sordides, mettent du temps à s'ordonner.

Au fil des pages cette jeune femme révélera plusieurs personnalités très différentes et antagonistes, supposant de très graves problèmes psychiques générés par un passé trop lourd vécu dans la république des mollahs, où la femme n'a droit à aucune considération, juste des devoirs incessants de soumission, donc de souffrance face aux hommes, face à l'état, face à la religion. Elle choisit d'apprendre le français pour sa psychanalyse, les mots perses étant pour elle synonymes de trop de souffrance, de nouvelles mortifications.

L'autre personnage féminin, Donya, iranienne aussi, est une jeune étudiante très intelligente, avide de liberté, mais révoltée d'être obligée de se plier au joug des autorités religieuses. Elle n'aspire qu'à vivre comme toutes les jeunes filles de pays démocratiques : pouvoir sortir seule et sans voile, aimer au grand jour, profiter de la mode et dire ce qu'elle pense, choses toutes inenvisageables dans une théocratie extrémiste. Dès lors, son comportement devient imprévisible et picaresque, traversant mille épreuves, de Téhéran au golfe Persique, de Dubaï aux rives du Bosphore. Bravant les dangers comme une effrontée, mais cherchant avant tout le chemin qui lui fera prendre conscience qu'elle est en vie, et non pas cloîtrée sous son tchador, condamnée à ne pas exister aux yeux du monde.

Les thèmes de ce roman âcre et lourd psychologiquement sont multiples : le rapport au père, à la mère, aux hommes, à l'état iranien, mais aussi à la prison, à la torture, au viol, à la prostitution, et à la solitude. Avec, comme seule porte de sortie : l'exil, pas toujours si libérateur que l'on pourrait innocemment le croire.

Chahdortt Djavann, dans sa post-face, refuse de nous divulguer la part autobiographique, revendiquant le droit de laisser planer le mystère. Certes, mais les situations sont tellement fortes de réalisme, sa rébellion hurlant à tant de pages, sa haine viscérale des mollahs est si criante, qu'indéniablement elle a forcément vécu maintes des situations racontées. De plus, sa plume incisive délivre une recherche si instinctive de liberté, qu'il est difficile d'y voir autre chose qu'un traumatisme personnel.

En 1979, pendant les deux années qui suivirent l'arrivée de l’ayatollah Khomeini au pouvoir, les arrestations se sont multipliées. En effet les mollahs n'admettaient aucune contestation politique ou religieuse. Pour se faire ils édifièrent un système de délation, de collaboration, dont les jeunes et les femmes payèrent un lourd tribu. Rien que pendant les deux premières années de pouvoir, c'est plusieurs centaines de milliers de victimes qui succombèrent aux tortures et à la peine de mort. Juste distribuer des tracts dans la rue suffisait à vous conduire devant le bourreau ! Sauf, si issu d'une de familles aisées, vous pouviez payer de lourdes amendes pour racheter vos soi-disant péchés. 

Par exemple : si vous tuiez un homme et que vous étiez riche : 18 000 dollars d'amende, pour la mort d'une femme : 9 000 dollars, cherchez l'erreur !

Un roman qui dénonce aussi toute la corruption du pouvoir en place, s'enrichissant de trafics divers. Chahdortt Djavann  montre du doigt la résignation d'une population non favorisée qui accepte sans le moindre signe de résistance sa peine.

Toute la révolte de l'héroïne de ce roman peut se résumer par cette terrible phrase : Que peut-on faire dans un pays où ceux qui vous ont violée peuvent vous condamner à mort parce que violée ?

Bref, des pages intenses, déchirantes, fougueuses, désespérées, comme un cri hurlé avec ses tripes aux oreilles de l'humanité. Cependant, les séances chez le psy se veulent (volontairement ? ) brouillonnes, elles manquent d'unité, de liaison pour me faire adhérer vraiment. Et puis cette fin qui n'en est pas ! Peut-être une suite est-elle envisagée ?

Ce qui jaillit de ce livre, c'est une personne écorchée vive par l'intégrisme musulman des mollahs et ses barbaries religieuses. Elle conserve, telle une carapace, une détestation sans limite de la vision totalitaire d'un islam politique et prosélyte. Mais surtout, c'est une personne abîmée qui souffre encore et pour toujours. Comme un leitmotiv immuable,  Chahdortt Djavann consacre toute sa vie à ce combat sincère et authentique.


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