Enfermé dans une prison pour jeunes délinquants située sur une île de l'Elbe, en aval d'Hambourg, Siggi Jespen est puni sévèrement pour avoir rendu une copie vierge lors d'une épreuve de rédaction. Paradoxalement, c'est justement parce qu'il avait pléthore à raconter sur le sujet " Les joies du devoir ", que Siggi n'a pas su par où débuter !
Mais à l'ombre de ses quelques mètres carrés, le temps infini à disposition lui fera noircir de nombreux cahiers, afin de revivre en longueur les événements qui ont bouleversé sa jeune vie.
Son père, officier de police à Rugbüll, petit bourg accroché au bord de la mer du Nord, est contraint en 1943 de faire appliquer les lois iniques du Reich, notamment en interdisant au peintre Max Nansen de pratiquer son métier d'artiste.
Dans le dos de son père, qui voudrait s'en faire un allié, Siggi devient peu à peu l'ami du peintre, et va l'aider à protéger ses oeuvres, jusqu'à ce que cela devienne obsessionnel.
Ce roman s'articule d'abord autour d'une résistance opiniâtre au régime nazi, concrétisée par le caractère inflexible du peintre, puis par le refus obtus de Siggi face à l'autorité paternelle. L'incompréhension, face à l’attitude inepte de son père se répercutera lourdement sur ses agissements et sur son avenir. Une parenthèse pour préciser qu'il y a eu des allemands pour dénoncer l'infâme politique nazie. Beaucoup d'entre eux y ont laissé leur vie, à l'instar de Sophie Sholl, l'étudiante contestataire guillotinée le 22 février 1943 à Munich.
Ce récit est un hymne à la puissance créatrice de l'artiste, celle qui modèle son oeuvre, pleine de vibrations, de possession, de fulgurances, face à l'étroitesse d'esprit d'un pauvre hère, représentant basique d'un état totalitaire enchaîné à ses peurs. Le peintre résume cela par une phrase forte : Ce qu'il y a dans ma tête, vous ne pouvez le confisquer.
Siegfried Lenz offre une place de choix à la nature qui devient, sous sa plume inspirée, un personnage à part entière vivant et caractériel. D'ailleurs le paysage austère du nord de l'Allemagne conditionne les habitants, leur forge un caractère âpre et rugueux. Les couleurs de la mer, du ciel et de la terre se mélangent pour accoucher de nuances grises, tirant sur le vert sombre et le brun terreux. Entre la terre et la mer, il y a le watt : une zone sableuse et marécageuse qui bat tel un coeur au rythme des marées ; sur terre, résistants aux éléments souvent âpres : des aulnes, des pommiers, des haies d'aubépine s'accrochent à cette région peu hospitalière. Mais laissons l'auteur le dire avec ses mots : La neige, la pluie, le ciel au-dessus de la mer du Nord nous en promettait davantage encore ; et l'échéance était proche à en juger par le souffle furieux qui poussait à notre rencontre ce banc de nuages sombres d'où pendaient des haillons blanchâtres.
Les chapitres, aux nombres de 20, sont chacun comme une histoire à eux seuls, voire une nouvelle. L'écriture est brillante, fine et ciselée, admirable de précision, trop peut-être, car jamais dans la concision. Malgré tout, il s'en dégage une maîtrise totale, digne d'une vraie oeuvre littéraire ; d'où le fait qu'elle se mérite, qu'il faut parfois forcer la porte, y mettre un pied franc et vindicatif pour l'empêcher de se refermer, tant la densité du texte peut faire peur à des lecteurs friands de lecture facile. Mais il y a du bonheur à parcourir certaines pages magnifiquement écrites.
Cependant, après avoir fermement gardé le cap pendant les trois-quarts du roman... je me suis perdu, désespérément perdu dans un labyrinthe de digressions qui ne sont pas essentielles au récit. Il est terrible qu'après avoir aimé la plus grande partie du livre de se voir esseulé dans une forêt touffue et sombre, à essayer de déterminer où est le nord !
Bref, ce roman est un beau livre sur l'esprit d'opposition et de rébellion, écrit avec brio, plein de passions picturales, où on entend presque parler la nature, mais qui aurait gagné en luminosité avec un élagage judicieux de quelques longueurs nonchalantes, sinon languissantes.
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