3 oct. 2016




" Les douze enfants de Paris "   de Tim Willocks   16/20


Le samedi 23 août 1572, Mattias Tannhauser, chevalier de l'Ordre de Malte, se présente aux portes de Paris. Il est à la recherche de sa femme enceinte venue dans la capitale, sur invitation, au mariage de Marguerite de Valois et d'Henri de Navarre. Le chevalier se perdra dans les rues putrides de la capitale, où, les tensions entre les catholiques et les protestants s'exacerbent de plus en plus. Dans cette cité fébrile, Mattias sera rapidement plongé dans un océan d'intrigues machiavéliques, qui accoucheront dans un bain de sang !

Ce roman, au sens propre comme figuré, est indéniablement un grand livre, d'une maîtrise certaine, qui entraîne inexorablement son lectorat au fil de ses 1053 pages vers des sommets fascinants de l'art de conter ! Même si j'ai quelques réserves... j'y reviendrais plus loin.

Ce Paris de la fin du XVI ème siècle offre un cadre on ne peu plus romanesque, en effet, la saleté des rues, leurs odeurs méphitiques, les murs souillés par le temps et les fientes d'oiseaux, la clameur incessante des voix, les aboiements constants des chiens, les bourdonnements des mouches, font baigner Paris dans une atmosphère bruyante et étouffante, d'autant que l'on est au mois d'août. Bordées par des maisons en bois et pierre, parfois construites de guingois, chacune des rues plus où moins étroites délivrent un faible passage à une quantité innombrable d'êtres humains et d'animaux. Une vraie fourmilière !

L'histoire de la Saint-Barthélémy, telle qu'elle est racontée, se situe plus à la hauteur du simple parisien, qu'il soit catholique ou protestant, plutôt que du côté du pouvoir, dont l’aspect politique ne couvre que quelques dizaines de pages. L'essentiel de ce roman dantesque est consacré à la lutte d'un homme pour recouvrer sa moitié, mais confronté malgré lui à une guerre religieuse où les cadavres vont s'accumuler si vite que tout chiffrage demeurera impossible, il devra faire preuve de bravoure, d'audace et de discernement dans ce Paris, lieu de massacre, dont les rues vont être peintes en rouge sang, les cadavres en putréfaction rejetés à la Seine qui elle-même changera de couleur !

Pendant cette période de non-droit, chaque individu va révéler sa vraie nature, son vrai visage, d'autant que la nuit enhardit les criminels, les fanatiques, les dégénérés de tous bords. Tout est permis. Le chaos en s'installant dans la capitale va affranchir leurs lubies les plus viles. Et Tim Willocks se régale de pouvoir décrire sans filtre ce que les huguenots ont eu à subir pendant cette période délétère. Le sang versé lui inspire une écriture vermillon, issue de l'encrier du diable pour nourrir sa faconde insatiable.

Salutairement il est heureux que ce roman soit parcouru, dans son entièreté, par une magnifique histoire d'amour. Pourtant Mattias et Carla ont des tempéraments aux antipodes l'un de l'autre, mais une alchimie particulière, peut-être due à l'attirance des contraires, unie ces deux êtres avec une force d'une imputrescible pureté. Tel un éclat de soleil bienfaiteur, qui non seulement fait vibrer le lecteur, mais qui empêche les ténèbres de définitivement envahir ce millier de pages sombres.

L'action se déroule sur deux jours, soit 48 heures, le temps qu'il faut pour venir à bout de ce gros pavé ! Créant ainsi une sorte d’attractivité du direct, un lien tacite entre le récit et son lecteur, amplifiant logiquement l'envie de lire toujours et encore plus, tel un long sprint, jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au bout du cauchemar !

Il y a un grand souffle épique qui émerge de ce texte. On y lit comme un hommage révérencieux à un grand écrit du passé, le célèbre " Notre-Dame de Paris ", où les lieux (La Cour des miracles, la place de Grève, Notre-Dame) et les personnages (Quasimodo, Esméralda, Phoebus, Frollo) réinventent l'histoire de Victor Hugo pour la faire revivre en la transférant pendant la période sanglante de la Saint-Barthélémy. Naturellement le récit de Tim Willocks est plus moderne, plus violent, plus vif, plus sordide, cependant, il est impossible de ne pas y songer pendant la lecture, tant des liens flagrants émergent à de nombreuses reprises.

Tim Willocks nous interroge aussi sur la responsabilité d'être parent, et du comportement que chacun de nous devrait avoir face à une jeunesse cherchant les limites qu'elle peut s'accorder, devant celles plus ou moins affirmées des parents. D'où l'explication du titre du roman, tous ces enfants se retrouveront sur le chemin de Mattias Tannhauser, loin de frôler l'indifférence, il s'y attachera même sans le vouloir, et tentera, dans la tourmente de ce moment historique, de leur faire entrevoir la lumière derrière la noirceur. Ces douze enfants enfantés par Paris seront des feux, modestes ou fous, qui apporteront un intérêt singulier et supplémentaire à la lecture de ce mastodonte.

Parmi les protagonistes attachants, il y a Grimonde (Gris-monde, pas de hasard). Au début du roman, on a affaire à une brute épaisse au physique de monstre difforme, régnant sur la pègre, et avide de profiter du pandémonium qu'est devenu Paris. Puis au contact troublant de Clara, femme sur le point d'accoucher, qu'il est venu occire froidement, son comportement se modifiera, révélant une face attendrissante et humaine inespérée. La seule vénération qu'il possédait jusqu'alors était pour sa maman Alice, une femme d'une grande influence, sachant lire les cartes du tarot avec clairvoyance. Donc Grimonde, dont l'agressivité fut altérée par le contact avec la fascinante Carla, ira, dans un souci d'altruisme et de rédemption, jusqu'au bout de sa nouvelle logique.

Cependant, ce livre aurait pu être d'un niveau encore supérieur si l'auteur avait su l'édulcorer de quelques excès. Notamment celui de tous ces combats incessants qui sont plus des assassinats qu'autre chose, spécifiquement dans la dernière partie du roman ; certaines pages sont de véritables boucheries, il en coule entre les pages comme un flot de sang intarissable, certes utiles pour nous faire une idée de la vérité historique, mais répétées à l'envi, cela peut agacer. De plus, le côté super-héros de Mattias Tannhauser est peu crédible, songer : ne pas dormir ou si peu pendant 48 heures, se nourrir chichement, boire mais sans excès, et être capable de raisonner, de se battre comme une fine lame avec une prodigieuse dextérité, d'avoir une activité physique très élevée, quasi sans fatigue, et cela pendant deux jours ! Cela relève d'une performance herculéenne ! D'autant que ces combats individuels, plus d'une centaine, ne lui inflige aucune blessure sérieuse, comme si une aura baignait l'ensemble de son être sous une protection christique ! Ne serait-il pas finalement un ange noir de l'apocalypse, venu bouffer de l'hérétique ? Un ange exterminateur ? D'autant que parfois, il tue sans nécessité absolue (la décapitation du ménestrel), comme s'il obéissait à une pulsion de mort extrême et intarissable. Un chevalier de l'apocalypse vous dis-je !

Et puis franchement, vouloir faire jouer au tennis le roi de France en 1572 ! Sa majesté est folle de rage que des inconnus aient osé tirer sur son invité d'honneur pendant qu'elle jouait au tennis. Pourquoi ne pas, pendant que l'on est dans l'anachronisme, lui faire prendre part au tournois de Roland Garros ! Allons allons, est-ce une erreur malencontreuse du traducteur Benjamin Legrand ? Tout le monde sait qu'il s'agit de l'ancêtre du tennis, connue sous le nom du Jeu de paume ! Toujours au sujet de la traduction, des tournures de phrases bizarrement alambiquées interpellent, du genre : Carla était meilleure que qui que se soit qu'elle ait jamais rencontré, hormis Alice. Mais bon, quand il faut traduire 1053 pages, on peut comprendre qu'à certains moments l'attention du traducteur soit moins vigilante. Quoiqu'il doit y avoir des relectures avant impression, non ?

Instant musical du roman, cette viole de gambe passionnément jouée par Carla, telle une bande sonore de ce massacre, dont le morceau n'est pas choisi au hasard, mais profondément ancré dans les turpitudes sanglantes parisiennes d'août 1572, puisqu'il s'agit de l'immortel air de la Folia, dont l'origine remonterait au Portugal au cours du XV ème siècle, et dont le thème fut repris depuis par une foultitude de compositeurs et de musiciens.

Pour conclure, laissez-vous emporter dans un tourbillon sordide de larmes et de sang mené tambour battant par un chevalier quasi surhumain. Vivez et vibrez avec lui tout au long de son chemin de croix à la recherche de sa femme au travers d'un Paris devenu fou, dont les rues sont jonchées de cadavres de huguenots, victimes de l'empreinte indélébile de la haine, de la cupidité, de la stupidité et du pouvoir. Certes l'oeuvre comporte quelques longueurs et imperfections mais qui seront vite oubliés devant l'effort accomplit par Tim Willocks pour nous faire sentir et ressentir, au raz du pavé parisien, ce que fut vraiment la vie pendant cette période rouge de l'Histoire de la France.


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