La reconstitution de la vie du héros débute par le retour au pays d'un vieux libanais exilé (Amin Maalouf ?), natif d'un petit village de montagne où les rochers ont un nom. L'auteur s'inspire des écrits Chronique montagnarde, nés sous la plume d'un moine nommé Elias de Kfaryabda, et de ceux d'un certain Nader auteur de La sagesse du muletier, puis des Éphémérides du pasteur Jérémy Solton, auxquels s'ajoutent les souvenirs d'un vieillard du village (ancien instituteur passionné d'histoires locales) nommé Gébrayel, et cousin du grand-père du narrateur.
Kfaryabda est un village des montagnes libanaises, autour des années 1820 y naît Tanios. Un mystère plane autour de sa naissance, fils de la très belle Lamia, de grands soupçons courent sur l'identité de son vrai père. Est-il le fils légitime de l'intendant du cheikh du village, Gérios, ou bien du cheikh lui-même, dont les frasques sexuelles sont pléthores.
Tanios est un enfant curieux de tout, ardent et intelligent, en tout cas beaucoup plus que le fils officiel du cheikh, le jeune Raad, avec lequel il ira suivre les cours d'un pasteur anglais dans un école ouverte dans un village voisin. Puis l'amour naissant pour les yeux de la belle Asman fille de l'ancien intendant, Roukoz, licencié pour prise d’intérêt, l'entraînera dans un tourbillon de désastres qui finiront par engendrer un abîme de calamités. S'achevant dans un exil inévitable, après l'assassinat d'un patriarche religieux, avant un retour d'exil étonnant de sagesse et de maturité.
D'emblée l'écriture vous saute au yeux par sa beauté, sa magie, son harmonie : quel plaisir de laisser couler les mots, tel un fleuve tranquille, délicat, esthétique et équilibré, un absolu régal.
Prix Goncourt 1993, ce magnifique roman tourne autour d'un personnage célèbre du Proche-Orient Tanios. Mais a-t-il réellement existé ? Nul ne le sait vraiment, surtout dans une région réputée pour ces multiples contes et légendes. Peu importe après tout, car Amin Maalouf est doué pour nous décrire ce Liban du début du XIX ème siècle, dans un récit magique, plein de sagesse, de folie, de déchirements politiques sinon géopolitiques, issus d'une si belle région méditerranéenne de tout temps éprouvée par des tensions hégémoniques.
A partir d'un récit hypothétique, Amin Maalouf possède l'art rare et subtil d'agencer adroitement les pièces d'un puzzle, nées d'une succession de hasards malencontreux, afin de construire un tableau plein d'images d'une beauté désuète.
De son imagination fertile naissent de nombreux protagonistes hauts en couleur. Outre la belle Lamia, victime de sa beauté, Gérios, l'intendant infiniment obséquieux, qui saura relever la tête et retrouver sa fierté, il y a le personnage du pasteur, loin d'être là par hasard, il cristallise la première avancée des prétentions de la Grande-Bretagne au Proche-Orient. En effet, les chancelleries européennes étaient préoccupées à cette époque par un événement exceptionnelle : Méhémet-Ali pacha, vice-roi d'Egypte, avait entrepris de bâtir en Orient sur les ruines de l'empire ottoman, une nouvelle puissance s'étendant des Balkans jusqu'aux sources du Nil, contrôlant ainsi la route des Indes. Inadmissible pour les anglais ! Dès lors, ils feront tout pour prendre le contrôle d'une bande de terre s'étendant de Gaza à Alexandrette, en passant par Haïfa, Acre, Saïda, Beyrouth, Tripoli, Lattaquieh. Des noms grandement ensanglantés déjà du temps des croisades, mais malheureusement aussi dans une Histoire récente. D'où l'importance de la région montagneuse dans laquelle aurait vécu Tanios, involontairement au coeur d'incessants tiraillements. D'ailleurs, Amin Maalouf met en évidence la complexité de la situation libanaise, écartelée entre les luttes d'influence de tant de communautés, et de confessions religieuses. Une vraie tour de Babel, d'une richesse culturelle forte, inhérente à sa situation géographique et historique.
Entre conte et réalité, entre quête d'identité et recherche d'amour, entre exil et retour à la mère nourricière, Amin Maalouf signe une oeuvre brillante, portée par une écriture lyrique au charme oriental, digne des plus grands.
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