9 févr. 2017

" Une fille de pasteur "   de George Orwell   18/20


En 1930, Knype Hill est une petite ville de province anglaise, située dans le Suffolk. Dans sa paroisse y vit un pasteur acariâtre et avare. Sa fille unique, Dorothy, âgée de 27 ans, assume avec une abnégation sans borne, toutes les responsabilités inhérentes à la vie paroissiale. Son père, préférant faire des placements boursiers pour le moins hasardeux, ne lui donne que peu d'argent pour régler la vie quotidienne, la laissant ainsi se débattre avec leurs dettes face aux commerçants. Sans parler des frais à prévoir pour les travaux rendus indispensables face à la vétusté de l'église. Très pieuse, allant même jusqu'à se piquer sévèrement le bras avec une aiguille à tête de verre pour se punir de la moindre pensée sacrilège, elle se tournera toujours vers Dieu afin de retrouver une once de sérénitéMais Dorothy, intrinsèquement meurtrie par ses conflits larvés, finira par disjoncter, un vrai burn-out marquant ainsi le début d'un long chemin de croix.

Avec une lucidité et une acuité intransigeante, George Orwell nous dépeint cette société anglaise d'entre deux guerres, où triomphe la fausseté, la bigoterie, l'avidité, la méchanceté et la misère tant spirituelle et intellectuelle que physique. La candide Dorothy devra braver bien des malheurs lors de son odyssée. Mais cette expérience aura l'avantage de lui montrer le monde tel qu'il est, entre gris clair et gris foncé. A l'aune de cet enrichissement, elle pourra choisir délibérément ce qui sera le mieux pour elle et pour sa conscience.

Naturellement, quand on évoque le nom de George Orwell, deux oeuvres nous viennent immédiatement en mémoire : La ferme des animaux et 1984, quel dommage que ce roman doive vivre à l'ombre de ces deux grands soleils. Parce que cette oeuvre, si profonde, mérite largement une place de choix dans toutes les bibliothèques dignes de ce nom. 

Quasi tous les protagonistes, en dehors de Dorothy, sont voués aux pires travers de l'âme humaine, tous agissent par intérêt propre, mais les choses ont-elles changé de nos jours ? L'homme ne reste-t-il toujours pas un loup pour son voisin immédiat, à plus forte raison pour le pauvre bougre de migrant, écartelé entre subir l’innommable chez lui ou tenter sa chance ailleurs ? Certes cette admirable lecture plombe le moral, mais heureusement, quelques rayons de soleil, bien que furtifs, donnent parfois l'envie d'y croire. Bien que publier en 1935, ce roman reste malheureusement pour longtemps encore d'une immuable actualité.

Seul bémol, la troisième partie où Dorothy passe toute une nuit glaciale sur Trafalgar Square avec une flopée de clochards et finit arrêtée pour mendicité. Trop de dialogues noient cette scène essentielle, diluant le propos sous des considérations qui m'ont perdu juste quelques pages. Néanmoins, tout ceci n'est que mon avis, c'est à dire bien peu de choses.

Par contre, quel enchantement de lire la description chorale de la cueillette du houblon pleine d'allant et de chants : Ils ne se lassaient jamais de chanter et devaient l'avoir fait des centaines de fois quand la saison toucha à son terme. Les airs de ces chansons résonnant dans les rangées feuillues faisaient autant partie de l'atmosphère des houblonnières que l'odeur âpre et le soleil assommant. Tout cela pour faire oublier la maigreur des salaires, la frugalité des repas et leurs vêtements réduits à l'état d'horribles haillons ou guenilles : Ses bas n'avaient plus de pieds dignes de ce nom et ses chaussures ne tenaient plus en un morceau que grâce à la boue qui faisait croûte. Pas de doute, il y a de l'éloquence et une faconde à la Dickens dans cette oeuvre remarquable. 

Et quelle consternation devant ces 10 000 écoles anglaises privées, qui n'ont bien souvent d'écoles que le nom ! En effet, afin que leur directeur(rice) ne souffre d'aucune perte d'élèves, les cours sont élaborés uniquement en vue des désirs des parents, peu importe les lacunes dans telle ou telle matière, l'essentiel est de toujours présenter un carnet de notes favorable aux parents.

Avec cette oeuvre émérite, George Orwell nous interroge avec sagacité sur la fatuité de nos croyances profondes et intimes, qu'un simple ébranlement suffit à bousculer viscéralement. Il ose mettre le doigt sur nos principes si vite anéantis par la puissance subliminale d'insoupçonnées calamités. Certains préféreront ne rien changer, tout en n’étant pas dupes de leur compromission pour garder un certain confort moral, à l'instar de la fille du pasteur, d'autres ne supportant plus leur propre hypocrisie, chemineront vers des contrées plus hasardeuses, certes, mais plus authentiques, pouvant ainsi se regarder dans la glace sans rougir. Cependant, ne jugeons pas trop vite, chaque individu, en fonction de son caractère et de sa sensibilité, ne fait souvent que ce qu'il peut, tout changement de cap sans volonté forte risquerait de le perdre définitivement. La vie, cette maladie mortelle, n'est pas un cadeau pour tout le monde, son lieu de naissance et sa condition sociale jouent une part essentielle dans son destin, mais je ne fais que souligner une lapalissade. Désolé.

Et puis, quand Dorothy médite sur l'évolution de sa foi, sur le but ultime de Dieu, incompréhensible pour nous, elle nous renvoie à la figure nos propres interrogations et donc celle de son auteur. En effet, Eric Arthur Blair, alias George Orwell, possède l'art, au travers de ses écrits, de mettre toujours le doigt là où l'humanité ne veut rien voir. D'une lucidité lumineuse le bonhomme !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire