8 mai 2017



" Pour trois couronnes "   de François Garde     15/20


Proposant d'aider une amie à trier les papiers de son grand-père décédé, Philippe Zafar, un trentenaire d'origine libanaise, s'invente un métier qu'il a du mal à notifier : archiviste ultime ou documentaliste funéraire ou encore classificateur post-mortem, finalement il opte pour une expression plus neutre : curateur aux documents privés. 
      Sa petite entreprise multiplie vite sa clientèle. Un jour, dans le bureau de feu Thomas Colbert, un magnat du commerce maritime, Philippe tombe sur un bref texte manuscrit, fort préjudiciable pour son auteur.
      S'agit-il d'aveux dissimulés du défunt ? D'une excentricité déplacée ? D'une confession travestie pesant sur la conscience de Thomas Colbert ? Avec l'accord de la femme du défunt, Philippe va s'attaquer à ce mystère, mais l'enquête va vite l'emmener sur un terrain glissant, peut-être même dangereux.

      Pour trois couronnes est le type de roman dont on ne sait à l'avance ce qu'il contient, un bienfait pour tout lecteur amateur d'imprévu sinon de déroutant. Comme l'action se déploie sur un siècle et est narrée sous forme de dialogues avec moult personnages successifs, faut-il pour autant parler de roman d'aventures ? D'autant que l'on aborde des thèmes aussi variés que baroques tels que : le militantisme contestataire, la numismatique, l'amitié entre matelots, l'écrivaine Karen Blixen, la guerre civile, le passage des baleines, la médecine gynécologique, la politique insulaire et les liens de parenté, sans oublier l'évocation d'un système social dominé par les femmes : le matriarcat. Devant pléthore de sujets évoqués, en seulement 300 pages, on peut considérer, en étant raisonnable, que cela fait un peu trop. Cependant, le talent de l'auteur zigzague sur cette contradiction avec une troublante aisance de gazelle.

     Difficile d'en parler plus sans spolier le mystère principal, car il y a secret de famille, un secret qui a dû se nicher dans les consciences d'un certain nombre de familles aisées, au cours des siècles passés, avant l'arrivée d'une certaine technologie médicale. Ah, peut-être en ai-je déjà trop dit ! De toute façon, ce mystère sert de prétexte pour nous proposer une vision, une perception d'une époque pas si lointaine que cela. Et puis, comme un leïmotiv sous-jacent dans tous les chapitres, cette interrogation : Que faire du passé ? S'en affranchir ? Le reconnaître pour ce qu'il est ?

      Derrière une écriture agile et plaisante, on devine un bourlingueur au long-cours, un homme ayant respiré les alizés avec envie, un assoiffé de voyages lointains et un passionné, un curieux de l'autre, de celui et de celle qui pensent différemment de part sa situation géographique.
       Devant l'éventail de points historiques relatés, on s'interroge légitimement sur la véracité de tous ces éléments. Entre les lignes, on sent sourdre l'envie de François Garde de s'emparer goulûment d'un méli-mélo social et politique, couplé à des lieux imprécis (au lecteur de les reconnaître), pour en accoucher d'un récit à la fois plausible, singulier et représentatif d'une époque. Recomposer de l'attractif à partir des brides disparates du passé, voilà la plus belle réussite de l'auteur.

      Difficile de ne pas se laisser emporter et embarquer au fil des pages par l'originalité de ce roman qui fleure si bon les terres australes. D'autant que ces escales se muent en réflexion sur la paternité, la succession et le lourd fardeau du passé. 





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