Prenez un village de montagne, Les fontaines, avec ses travailleurs de la terre et ses éleveurs, prenez un paysage rocheux où trois canines de pierre défient le ciel, prenez un brave médecin venu de la ville qui décide de s'y établir, prenez des ouvriers bossant dans des carrières de craie, surnommés les " fourmis blanches " tant la poussière qui les recouvre leur donne cet aspect, prenez un climat rugueux été comme hiver, prenez une belle maison surplombant l'ensemble, ajoutez-y une tripotée d'enfants, une belle pelletée de sentiments exacerbés, puis la force imputrescible du désir, agitez fortement le tout, vous obtiendrez un roman haletant, qui se lit d'une traite, tant la montée (de lait) vers un final paroxystique est addictif.
Avant ce livre de Cécile Coulon, j'en avais déjà lu deux autres qui m'ont laissé franchement mitigé : d'abord Le rire du grand blessé, une fable d'anticipation sur l'avenir des livres sous une dictature, sujet qui avait tout pour me plaire, mais qui au final s'est avéré fort décevant tant la narration m'a paru alambiquée avant de devenir simplement incompréhensible. Puis j'ai lu Le coeur du pélican, l'histoire d'un homme pratiquant la course à pied pour faire plaisir aux autres, outre la description de ce sport, le reste m'a laissé perplexe par le manque de crédibilité du récit. Je me suis donc lancé dans la lecture de Trois saisons d'orage, sans enthousiasme, comme pour donner une dernière chance à l'auteure de me convaincre. Cette fois-ci, paradoxalement, je me suis tout de suite senti saisi, emporté par la force intrinsèque de l'histoire, au point de dévorer les pages avec une rare frénésie.
Dans Trois saisons d'orage, Cécile Coulon utilise deux thèmes classiques pour les magnifier : d'abord l'opposition entre campagne et ville, avec la fierté des villageois refusant toute compromission avec la cité voisine, d'autant que l'auteure construit son roman de façon à ne se rendre quasi jamais en ville ; puis la lutte constante entre l'homme et la nature, avec cette idée pourtant surfaite de pouvoir dominer et discipliner les turbulences de la nature, parfois fougueuse par nature, si je puis dire !
Cécile Coulon nous parle des Trente glorieuses, cette période où tous les espoirs étaient envisageables notamment celui que chaque génération vive mieux que la précédente. Cette vision d'une époque révolue évoque la notion nostalgique de paradis perdu, d'un monde qui ne pourra plus désormais bien se porter, qu'hier semblait plus humain que demain.
Ce roman montagnard est plein d'odeurs, il sent la pierre, la terre, le bétail, l'air pur, l'eau et le feu. Trois générations vont s'y succéder, pour leur bonheur et leur malheur : sous la force d'éléments incontrôlables qu'ils soient humains ou naturels. On y suit l'évolution d'un village à travers le temps, sous l'action d'un entrepreneur exploitant une carrière de pierre, d'un maire dynamique, de la descendance d'une famille d'éleveur et d'un consciencieux médecin.
L'écriture n'a rien de fade, elle est puissamment vivante, immanente et minérale, à la fois dure comme la roche, et sensible comme une toile d'araignée. Elle accroche le lecteur dès l'incipit, pour ne le laisser qu'au point final, encore haletant et éprouvé de ressentis variés. Cécile Coulon excelle dans la psychologie de certains protagonistes et de la confusion de leurs sentiments.
Ne comptez pas sur moi pour vous raconter le début de l'histoire, cela déflorerait une partie de votre plaisir de lecteur.
Par contre, l'un des plaisirs qu'offre ce roman est d'anticiper ce qui va advenir, de deviner l'avenir des protagonistes.
A noter que le point final, n'en est pas un pour moi, puisque un événement postérieur peut rebattre les cartes, impossible d'en dire plus sans spolier la fin, mais toute personne qui s’interrogerait sur ce fait n'aura qu'à me poser la question dans les commentaires, j'y répondrai avec joie.
Entre volonté de construire et fatalisme ancestral, Trois saisons d'orage nous décrit des hommes dignes, des femmes fières, dans un univers sauvage et minéral.
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