Je qualifierais ce polar de roman agathachristique, d'abord par son climat très proche des livres d'Agatha : sans esbroufe étourdissante ou sanguinolente, mais en pleine sérénité nécessairement fallacieuse. Puis, de roman christique, par le prénom des protagonistes qui renvoie aux évangiles : Marc, Luc, Mathieu. Sans oublier Pierre, premier pape de l'église, dont la présence, troublante d'absence, finit de quadriller le propos. Rien qu'une sainte communauté, une réunion symbolique et évangélique pour un mystère annoncé, une communion liturgique pour aboutir à la révélation finale, en pleine lumière... divine ?
Outre le rapport religieux, d'autres références sont là : entre autres, celle de la chanteuse lyrique grecque, la Callas n'est pas loin. Puis, la référence (fortuite ?) à un film hitchcockien : Mais qui a tué Harry ? avec ces multiples travaux de terrassement. Peut-être suis-je le seul à avoir fait ce rapprochement, pourtant limpide à mes yeux.
La trame, originale sinon fantasque, débute paisiblement dans un climat d'entre-aide, prend ses marques, puis s'envole avec frénésie, irrésistiblement, pour se clore dans un dédale de possibilités presque exponentielles, tel un delta de grand fleuve au multiples débouchés.
On prend plaisir à suivre ce groupe de chercheurs historiques, au tempérament aussi différent que les époques qu'ils étudient. Leur point commun à tous : être en grande difficulté financière, et créer ainsi, avec cette bâtisse en ruine, un point d'ancrage, un foyer, une bouée pour sortir de leur impasse, de leur errance individuelle, on est plus fort à trois que seul face au cynisme de notre monde. Certes, des divergences inhérentes à la vie en groupe émergeront, créant d'excellentes occasions d'apporter du cocasse au récit, mais la conjugaison de leurs talents aboutira, après un nombre incalculable de fausses pistes, à l'éclosion de la vérité... si bien cachée. Au point qu'il faut être presque extralucide pour deviner le coupable dès les premières pages.
Peut-être certains protagonistes auraient mérité un supplément d'épaisseur, comme Pierre, le mari de Sophia, dont on sait peu de choses, et cela m'a gêné. Puis la dimension psychologique des personnages se réduit trop souvent à la taille d'un ticket de métro. Mais est-ce le rôle du polar ? Oui, quand même un peu, non ? A moins que ce soit l'absence du commissaire Adamsberg qui crée cette impression. Allez savoir !
Fred Vargas a ouvert une voie nouvelle dans l'histoire du polar. Inventeur du roman rompol (roman/policier), elle orne toujours l'intrigue classique, souvent maligne, d'une fioriture de textes qui ont l'air décalé, avec des sens cachés, des allégories, où l'humour affleure, mais c'est pour mieux osmoser l'ensemble. Elle met en oeuvre, avec doigté, un travail soigné sur la langue, cherchant en permanence un cadrage différent, multipliant les pas de côté et brouillant les repères sans pour autant négliger l'importance de la trame. Sans en avoir l'air, la Vargas, est un écrivain à style.
Pour conclure : Difficile de ne pas se laisser emporter par l'originalité des personnages, d'ailleurs on s'amuse, on se distrait à parcourir ces pages vargaisques, histoire de découvrir le méchant avant le dernier chapitre, mais un relief supplémentaire au récit m'aurait comblé un zeste plus.
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