Autant l'avouer tout de suite, j'avais peur, peur d'être déçu, peur de lire un texte terne, sans saveur et sans relief, drainant peu d'empathie, en cinq mots : un texte trop mal écrit. Et quelle ne fut pas surprise, ma joie, de constater que je m'étais heureusement fourvoyé dans des préjugés et des considérations qui n'avaient pas lieu d'être. Ravi de m'être trompé, voilà ce que je ressentis en parcourant les premières dizaines, puis centaines de pages de cette saga qui fait tant parler d'elle depuis la diffusion de la série. D'après certaines sources officielles, ce serait d'ailleurs la série la plus regardée au monde.
Franchement, faut-il revenir sur l'histoire ? Tant de gens la connaissent. Disons pour faire simple que le roi Robert Barathéon règne sur un continent nommé Westeros, sur lequel vivent sept grandes familles : les sept couronnes. Au Nord, sur un mur de glace gigantesque veille la Garde de nuit, protégeant le royaume des contrées glacées où vivent sauvageons et autres créatures infernales. Le roi Robert venant à mourir d'un accident de chasse, une guerre de succession va voir s'affronter dans les trahisons, l'orgueil et le sang, une flopée de prétendants au trône, dans une sorte d'opéra tragique digne des Rois Maudits. D'autant qu'à l'Est, sur l'autre continent appelé Essos, émerge la puissance régénérée de Daenerys, la fille du roi (dit fou) Targaryen assassiné, elle revendique elle aussi ses droits au trône de fer. Dès lors, c'est une passionnante partie d'échec qui s'engage sur tous les fronts, dans une atmosphère lourde d'intrigues, aussi nombreuses qu'il y a de grande famille, chacune naturellement ne défendra que ses propres intérêts au détriment des autres, provoquant d’immarcescibles rancœurs.
Je tire mon chapeau devant le génie et le travail de George R.R Martin. En effet, la composition de l'époque moyenâgeuse, la construction scénaristique, l'élaboration et l'étude approfondies des personnages, les abondantes interrogations philosophiques qu'il soulève, tout cela demandent un tel investissement, que l'on ne peut être qu'admiratif de l'auteur. Il est vrai que son métier originel était scénariste, mais de là à écrire une épopée d'une telle puissance ! D'autant qu'elle coure pour l'instant sur cinq tomes, le sixième et avant-dernier ne devrait plus trop tarder à sortir.
Chaque chapitre nous donne, à tour de rôle, le point de vue de chaque protagoniste principal, épaississant et intensifiant ainsi le récit d'une grande richesse et diversité. La représentativité de la population est complète, personne n'est oublié, puisque les hommes n'ont pas forcément le monopole du récit, en effet beaucoup de femmes sont présentes et non des moindres. On y trouve des enfants, des adolescents, des anciens, des légitimes et des bâtards, et paradoxalement ce sont ces derniers, souvent rejetés par leur famille ou de leur communauté qui m'ont particulièrement plu.
L'ambiance savamment féodale, gothique et fort réaliste du roman, nous emmène dans un voyage aux frontières du surnaturel et du machiavélisme, dans un monde où les choses sont toujours différentes de ce qu'elles semblent être. Un monde où le mensonge, la manipulation et la trahison font partie des lieux communs. Un monde où le projet d'assassiner un bébé, pas encore né, ne pose aucun problème à un roi assoiffé de vengeance. Un monde où un nain d'une laideur repoussante, rejeté par son père, semble mieux comprendre les tenants et aboutissants d'une société en pleine révolution, que bien des princes, seigneurs et rois !
Dans ce monde gangrené et perverti jusqu'à la moelle subsistent malgré tout des hommes et des femmes pour qui le mot honneur a un sens, des gens qui sont prêts à renoncer à tout enrichissement personnel pour une question de dignité. Et cela fait du bien... même si en fin de compte cet honneur sera foulé du pied par un pragmatisme de circonstance, un opportunisme bien écœurant, qui, peu à peu, font prendre conscience d'un monde en délitement, d'un monde que, définitivement, l'homme ne mérite pas... je suis à deux doigts d'écrire : un monde comme le notre ! Car chaque tare de notre société y trouve sa place, comme une évidence. Au-delà de toute considération littéraire, ce roman est avant tout un miroir pour nous, le reflet de ce que nous sommes, c'est à dire une race bien méprisable sinon détestable. Et malheureusement, ce n'est pas l'incorruptibilité et la probité de certain d'entre nous, trop peu nombreux, qui auront l'ombre d'une chance de sauver ce monde de nous-mêmes.
Petit bémol : peut-être suis-je dans l'erreur, mais à diverses reprises, j'ai noté comme un problème de syntaxe. Est-ce voulu ? Est-ce une erreur de traduction ? A vous cher lecteur de me dire si vous avez senti de temps en temps ces inepties et approximations d'écriture, qui en dehors de cela est remarquable d'évocations, de sensibilité et d'intelligence.
Certains lecteurs ont voulu dénier l'intérêt de ce livre parce qu'une infime partie de celui-ci contenait un zeste de surnaturel, excuse non valable tant cette imbrication dans l'histoire est succincte et quasi réduite à l'état de légende. En vérité, ce qui prime c'est la puissance ineffable de l'intrigue et les brillantes interrogations philosophiques et politiques qu'elle suscite. Elle ne peut qu'emporter son lectorat dans un tourbillon, excellemment orchestré, où se mêlent : jeu d'influence, volonté de pouvoir, schizophrénie et folie meurtrière. Saga inéluctablement dangereuse, car d'une folle addictivité, qu'il vaut mieux la consommer avec modération, mais est-ce concevable ?
Surtout, ne vous laissez pas impressionner par la taille de ce premier opus, plongez-y sans vergogne mal placée, sans préjugé opportun, vous y prendrez beaucoup de plaisir, et c'est juste cela que l'on demande avant tout à un roman. Juste cela.
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