1907. Dans le sud de l'Italie en plein coeur de la Calabre, Cetta luminita, une jeune fille de 14 ans se fait violer par un ami du patron de sa mère. A cette époque, les propriétaires terriens ont tous les droits, ils profitent allègrement de la misère d'une population, contrainte d'accepter toutes les volontés de leur patron, si elle veut subsister. Cetta tombera enceinte et n'aura plus qu'une idée en tête : quitter ce pays de soumission, de pauvreté et de malheur pour tenter sa chance en Amérique. En 1909 avec Christmas, son très jeune enfant, elle s'embarque de Naples pour New-York, vers son rêve américain.
Cetta connaîtra Ellis Island, l'île où sont triés tous les migrants venus d'Europe s'offrir une nouvelle vie. C'est la prostitution qui lui permettra de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils, Christmas, ce petit bout de chou, la lumière de son âpre vie. Après avoir traîné sa pauvreté entre gangs adverses, Christmas verra sa gouaille naturelle lui servir de planche de salut, dans un pays où la radio prend son essor, et où le cinéma muet ne va plus tarder à prendre la parole.
Dans un contexte plus que dramatique, Christmas fera la connaissance de Ruth, une belle jeune fille juive. Une histoire d'amour se nouera, mais la richesse de l'une et la pauvreté de l'autre seront des barrières infranchissables par nos deux jeunes tourtereaux... mais avec le temps et une passion indéfectible chevillée au corps, tout est permis, on est en Amérique oui ou non ?
Ce roman, conditionné en petits chapitres accélérateurs de rythme, se lit d'une traite malgré ses plus de 900 pages. Un vrai page-turner ! Une fresque à la dimension des Etats-Unis. De la famille des sagas dont on devient vite addict.
Il est plutôt attrayant de revivre le si renommé "rêve américain" d'une jeune italienne et de son fils, s'efforçant de garder la tête hors de l'eau, dans une ville en pleine prohibition où humiliation, rivalités entre gangs, ségrégation, lutte des classes et paupérisation se côtoient, se bousculent, s'entremêlent avec une frénésie rare.
Luca Di Fulvio nous offre un portrait social d'une Amérique en pleine mutation. Un pays qui cherche ses marques, se crée des repères, se construit malgré les échecs, même si les laissez-pour-compte, les moins-que-rien seront avalés sans scrupule par un capitalisme vorace et inextinguible. Il entendait toutes les rengaines sur l'Amérique, l'extraordinaire nation qui promettait tout mais qui, à eux, ne donnait rien... ce qu'elle promet tu l'obtiens pas par le travail, comme on nous le raconte : tu dois le prendre par la force, même si t'y perds ton âme. L'important c'est d'arriver... et pas comment tu arrives.
Il y a comme la patte de Martin Scorsese derrière cette fresque à la fois new-yorkaise et hollywoodienne, à moins que ce ne soit du côté de Sergio Leone qu'il faille pencher et de son inoubliable Il était une fois l'Amérique, tant les images de ces deux réalisateurs s'affichent en pensée en cours de lecture. Autrement dit, la barre est haute ! L'obstacle est-il aisément franchi ? Patience j'y viens bientôt !
Dans Le gang des rêves, l'auteur met le doigt sur la violence faite aux femmes : Cetta met en garde son fils, il a le droit de tout faire dans la vie, mais s'il frappe une femme, elle le tuera de ses propres mains ! Pertinemment, l'auteur traite de la désillusion du rêve américain, de toutes ces carrières à l'ascension vertigineuse mais à la chute tragique. On suit également la naissance d'Hollywood, avec l'arrivée des premières stars et des dérives inhérentes à un tel engouement. Il évoque aussi le sentiment de dignité, dont certaines personnes s'affublent même au travers d'une grande pauvreté, comme le signe d'une appartenance à l'humanité malgré les coups de boutoirs que leur assène la vie. Cependant, le sujet principal, incontournable oserais-je dire, c'est l'AMOUR, celui qui transforme, celui qui porte au-delà des épreuves, celui qui fait espérer... même si cela va à l'encontre d'une vieille société pleine de conventions castratrices, et celui qui triomphe enfin... dans un bonheur indicible, l'acmé du coeur !
Il défile sous nos yeux toute une galerie de personnages ignobles ou séduisants, couards ou audacieux, taiseux ou fanfarons, féroces ou rassurants, des hommes et femmes ayant touchés du doigt leurs rêves, avant bien souvent de se brûler les ailes au soleil de la gloire.
Il m'est vite apparu, dès le début de la lecture, des similitudes avec un roman de Jack London (que je considère comme un chef-d'oeuvre) : Martin Eden. En effet, le parcours de Christmas, le personnage principal, débute dans la misère pour s'achever dans le succès. Il tombe éperdument amoureux d'une jeune femme très riche s'appelant Ruth, comme par hasard, mais une terrible barrière sociale les sépare, afin de l'abolir il gravira un à un les échelons d'une certaine gloire. De plus il roule dans une Oakland et les parents de Ruth vivent à Oakland, comme les propres parents de Jack London ! Et je n'évoque pas les périodes des récits qui coïncident parfaitement.
Aucun doute, Luca Di Fulvio a emprunté toute cette dramaturgie à Jack London, non pas pour en faire une sorte de vulgaire plagia, mais pour rendre hommage à l'auteur exceptionnel qu'était Jack London. D'ailleurs Luca Di Fulvio, afin de supprimer tout soupçon de copiage, avoue en deux fois cet emprunt dans la deuxième partie du roman. Comme une incitation pour son lectorat de découvrir les qualités extraordinaires de Martin Eden.
Néanmoins, malgré les grandes qualités du roman, je garde une certaine réserve, peut-être due aux critiques dithyrambiques qui m'ont donné une envie irrésistible de le lire ? J'en attendais donc beaucoup, malheureusement le contrat n'est pas rempli dans son entièreté. D'abord pour ce passage succinct en Calabre, j'étais en espérance de paysages, de lumières, d'odeurs, d'une ambiance méditerranéenne, d'un cadre typique, d'une atmosphère ensoleillée. Et bien non... c'est balayé en trois pages ! Un peu court jeune homme !
Puis la traversée vers New-York se voit affliger le même traitement : succinct à l'extrême, on était plus à 50 pages près !
Ensuite, l'arrivée à Ellis Island m'a donné l'effet d'une situation déjà vue ou lue d'innombrables fois, doublée du seul avenir possible pour une jeune immigrée : prostituée ! Trop facile ! J’aurais aimé de l'originalité, de l'audace, plutôt que de tomber dans des poncifs si navrants et attendus.
Puis enfin, s'il y a une protagoniste sur laquelle l'auteur s'étend hélas trop peu (sans vouloir faire un graveleux jeu de mots), c'est bien cette brave Cetta, on dirait une simple figurante qui n’est là que pour mettre en valeur son fils, alors qu'il y a une humilité, une sincérité, une générosité dans cette femme, qu'à nouveau 50 pages supplémentaires n'auraient pas été mal à propos ou saugrenues.
Une toute dernière couche avec ces inévitables fils blancs, indispensables pour boucler une histoire, mais néanmoins si choquant à la lecture, devenant ainsi délibérément moins crédible et moins convaincante.
Pour conclure, Le gang des rêves vous fera passer des bons moments et des nuits blanches, c'est sûrement ce que certain(e)s recherchent dans un roman, et vous aurez totalement raison... mais stupidement, moi, je place la barre un peu plus haute... trop bien sûr, je suis d'accord avec vous ! Mais que voulez-vous, on ne se refait pas, et avec l'âge toutes ces choses s'accentuent ! Ah... pauvre de moi !
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