Aux confins de l'Extrême-Orient Russe, chahutées par le souffle du Pacifique, s'étendent des terres qui semblent oublier la marche du monde. Pourtant en août 1952, autour du village de Tougour et en plein coeur de ce pays de taïga, des manœuvres militaires furent organisés en vue de tester la résistance des hommes face à un possible conflit nucléaire. Suite à l'évasion d'un prisonnier russe, un groupe de soldats fut détaché des manœuvres afin de rattraper le fugitif, et de le punir sévèrement pour l'exemple, n'oublions pas que Staline était toujours au pouvoir et que sa paranoïa s'accentuait jusqu'à la limite de l'absurde.
Pavel Gartsev, l'un de ces hommes, verra sa vie ébranlée par cette épreuve hors du commun... aux frontières de l'expérience métaphysique. Parmi ses compagnons de chasse, le soldat Gartsev sera confronté au responsable du groupe, Louskass, un commissaire politique sadique à l'extrême (pléonasme), Boutov, un officier ivrogne, Ratinsky, un arriviste ne souhaitant que plaire à son chef afin de gripper dans la hiérarchie, puis Vassine, un sergent au vécu douloureux, dont les doux rêves l'empêchent d'en finir.
Difficile d'en dire plus sans défricher inutilement tous les rebondissements du roman.
L'archipel d'une autre vie, est un grand roman par l'ampleur et la profondeur des sujets évoqués. Notamment, niché en chacun de nous, ce feu intérieur, ce monstre devrais-je écrire, qui excite nos peurs, qui anime nos égoïsmes, qui pousse au paroxysme nos désirs les plus sombres, et qui fait de nous tous des dangers en puissance, des bombes à retardement. Il y avait cette femme dans sa nuit solitaire et, à si peu de distance d'elle, nous ces hommes qui, quelques heures auparavant, étaient prêts à la torturer dans une saillie de bêtes... Les philosophes prétendaient que l'homme était corrompu par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de celui de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus...
... Le pantin implanté dans nos cerveaux, rendait chimérique toute idée d'améliorer l'humanité.
...mais sans lui, le monde n'aurait pas eu d'histoires, ni de guerres, ni de grands hommes. Redoutable constat amère d'une humanité qui porte si mal son nom.
Par l'intermédiaire du peuple des Néguidales, Andreï Makine évoque tous ces peuples sauvagement bousculés par une autorité drastique, au nom d'une idéologie captieuse. Et qui furent condamnés à obéir sous peine de représailles inouïes.
De la mer d'Okhotsk à l'archipel des îles des Chantars, des rives de l'Amour à celles de la rivière Amgoun, le personnage central, incontournable est sans conteste cette nature sublimée par les mots de l'auteur. Cette nature qui vie à son propre rythme, libre et indépendante, brute et sauvage, colérique ou apaisée, qui n'a que faire des régimes politiques, de l'humeur des hommes, des conflits en préparation. Cette nature entière, pour toujours insoumise et fière de l'être. Seuls ceux qui ont la sagesse de l'écouter, de faire corps avec elle, de rentrer en communion avec elle, de l'épouser, pourront accéder à un état de grâce et de sérénité intérieure, bien loin des valeurs prisées par une soi-disante modernité où seul consommer est le but ultime de la vie.
Originaire de Sibérie, Andreï Makine est incontournable pour saisir avec vigueur l'histoire agitée et fiévreuse de le Russie, la folie des hommes et le rude climat qui baigne cette partie du monde. D'autant que sa plume magnifie ces différents éléments, il transpire au travers du roman une vraie recherche de chaque mot, de chaque phrase. L'ensemble restera pour longtemps dans ma mémoire, comme un voyage en contrée hostile, où l'homme perdu dans son égocentrisme brasse du vent au lieu de se poser et d'admirer les beautés et la richesse de son peuple et de son pays, afin de simplement... VIVRE !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire