Déception, grande déception ! A la hauteur de l'alléchant quatrième de couverture qui donnait bigrement envie... un peu trop peut-être
1948, la deuxième guerre mondiale vient de s'achever sur le triomphe des forces de l'Axe (allemands, italiens, japonais), et la terrible défaite des Alliés. Vingt ans plus tard, dans les Etats-Pacifiques d'Amérique sous la domination nippone, la vie a repris son cours, presque paisiblement. Les occupants ont apporté avec eux leur art de vivre, leur philosophie et le fameux Yi King, ou livre des mutations (tiré de la doctrine du yin et du yang). Pour beaucoup d'américains il est devenu un guide spirituel primordial, si ce n'est irremplaçable.
L'Allemagne s'est emparée de l'Europe, de l'Afrique (dont la population fut largement décimée), de la Russie et de la côte Est des anciens Etats-Unis. Elle mène toujours à l'égard des juifs sa politique d'extermination totale. Sa voracité territoriale étant sans limite, l'Allemagne lorgne maintenant sur les possessions nippones, instillant ainsi les prémices d'une guerre froide.
Pendant cette période de tension, un livre intitulé Le poids de la sauterelle, écrit par un certain Hawthorne Abendsen, s'échange sous le manteau, surtout dans la partie du monde occupée par les japonais, car en Allemagne il est strictement interdit de le posséder sous peine de mort. Que contient ce livre ?
Avec un pitch pareil, quel lecteur digne de ce nom pourrait longtemps résister à cette uchronie ? D'autant que Le Maître du Château est considéré comme le premier chef-d'oeuvre de Philip K.Dick ! Et qu'il a obtenu le Prix Hugo en 1963, c'est pourquoi aucune hésitation ne m'a titillé. J'ai plongé sans bouteille ! Fatale erreur !
Pourtant ma lecture débutait bien, une histoire de négociant en objets de collection se voit confronté à un client qui l'accuse de vendre des objets fallacieusement historiques ; en parallèle un homme d'affaires suédois vient négocier un contrat avec un représentant du Japon. Puis, sans prévenir, le récit patine, s'embrouille, se complexifie, s'asphyxie, à un tel point que toute compréhension m'est refusée. Là où j'aurais aimé lire une sorte de récit géopolitique, doublé d'intrigues sous-jacentes, je ne lis qu'une succession de séquences bien mystérieuses où je ne sais qui est qui. Je sens bien que le mensonge, la duperie, l'imposture font partie intégrante du récit, mais comme rien n'est expliqué un lourd brouillard plane, cela laisse le lecteur dans un imbroglio bien abscons, excusez le pléonasme.
Heureusement qu'en fin de roman, une postface signée Laurent Queyssi nous donne toutes les clefs pour comprendre enfin de quoi il retourne. N'aurait-il pas mieux fallu transformer cette postface en préface, afin d'avoir d'entrée les codes nécessaires à une bonne compréhension du livre ? Question de logique quoi !
D'autant que dans l'édition de poche J'ai lu, ce roman est augmenté de deux chapitres inédits d'une suite inachevée, et qu'eux aussi laissent transparaître nettement plus de lumière que le roman de base.
Pour obtenir des réponses sur la conduite à tenir à la moindre de leur interrogation, un grand nombre de protagonistes utilisent systématiquement le Yi King, censé décrire les états du monde et leurs évolutions. Quiconque possède un esprit cartésien conclura à l'improbabilité d'une telle méthode. En effet, soumettre chacune de ses interrogations au hasard révèle un manque total de lucidité, à deux pas d'un obscurantisme malsain. D'ailleurs, Philip K.Dick s'adonnait lui-même à cette pratique irrationnelle, dans sa vie de tous les jours comme pour la trame de ses romans.
Philip K.Dick s'amuse jusqu'à l'outrance avec la notion de faux. Beaucoup de choses annoncées pour vraies s'avèrent fausses au fur et à mesure qu'avance la lecture, pour finir sur un twist final d'une crédibilité bien légère, à deux pas de l'escroquerie pure et simple.
Pour finir, ce Maître du Haut Château, que j'espère voir intervenir page après page, pour faire la lumière sur tous les mystères qui planent chapitre après chapitre, ne semble daigner apparaître que dans une petite partie du... dernier chapitre ! Et juste pour dire une lapalissade ! Arnaque totale !
Naturellement le but de Philip K.Dick est de manipuler son lectorat, de retourner complètement son point de vue, d'accord, mais pour obtenir quoi ? Jeter un coup d'oeil rapide derrière le voile de la réalité du monde ? Mais cette réalité, qui prouve qu'elle est vraie et définitive ? N'est-elle pas encore aliénation de l'esprit, qui, à l'instar des poupées russes contiennent toujours une autre version en elle-même ? Ou alors n'y-a-t-il pas, tout simplement, une vérité par individu ?
Sur un même sujet, et avec beaucoup plus de compréhension et de frissons à la clef, le film Matrix, lui, est un véritable chef-d'oeuvre, d'une autre tenue que ce semblant d'uchronie.
Pour conclure, ce livre est à réécrire (excuser ma prétention), car il possède profusions d'éléments pour en bâtir un grand livre, encore aurait-il fallu remettre tout dans l'ordre avec les explications idoines, ne pas laisser les personnages se perdre dans l'infini de leurs possibilités, et construire un final digne de ce nom !
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