" La nuit des béguines " de Aline Kiner 15/20
Paris 1310, dans le quartier du Marais vivent une assemblée de femmes appelées "béguines". Cette communauté atypique fut créée suite à un souhait de Saint Louis. Ces femmes, suivant le désir de feu le roi, sont libérées de l'autorité des hommes, c'est-à-dire : refus du mariage et du cloître. Les béguines, mi-religieuses ou mi-laïques, sont actives, charitables, instruites, intellectuellement à l'écoute de tout, elles forment une communauté inclassable et inenvisageable pour l'époque. Justement, cette période est celle de l'inquisition, et beaucoup d'autorités, notamment Philippe le Bel ou encore le Pape Clément V, sans parler des hauts religieux extrémistes, qualifient cette assemblée de dérangeante, de subversive, d'immorale, de provocatrice, à deux pas de l'hérésie. Leur existence est dès lors inexorablement comptée.
Parmi elles : la vieille Isabelle qui connaît tous les secrets des plantes... et des âmes, veille avec amour sur la communauté.
Cependant, l'arrivée d'une jeune inconnue trouble leur quiétude. Elle s'appelle Maheut, est dangereusement rousse (signe du diable) et fuit un mariage imposé. Humbert, un inquiétant franciscain la recherche...
A une période où l'hérésie hante le royaume, où on s'entête à poursuivre les Templiers et qu'en place de Grève on brûle Marguerite Porete pour son manuscrit interdit Le miroir des âmes simples et anéanties, les béguines de Paris vont devoir jouer de savoir faire et de prudence pour protéger Maheut, leur vie d'indépendance et leur sacro-sainte liberté.
L'auteure, Aline Kiner excelle dans les connaissance du moyen-âge. Ses recherches historiques résonnent à toutes les pages. Elle n'omet aucun détail : les odeurs délétères des rues, des cachots, des vêtements, issues d'une hygiène détestable dont Paris était baignée. Sans oublier la plus immonde, celle de la chair brûlée venant des bûchers, condamnation suprême des soit-disant hérétiques. Par ailleurs, tout en contraste, elle nous décrit la délicate odeur des fleurs et des plantes aromatisantes des jardins des béguines, tel un oasis de paix dans un monde de folie furieuse.
Aline Kiner nous interroge avec une vive intelligence sur l'obscurantisme, sur l'extrémisme, sur toutes ces figures historiques, ivres de pouvoir, condamnant sans appel quiconque pense différemment, agit autrement ou prie sans intermédiaire. Le protestantisme mettra encore de longs siècles avant de s'épanouir au grand jour, mais désormais le ver est dans le fruit, inexorablement. De plus, dans la période actuelle, ce roman évoque la condition féminine, toujours si ouvertement bafouée.
L'écriture, le choix des mots, le déroulé des phrases, leurs rythmes s'accordant à l'époque, magnifient le texte, lui donnent une vraie crédibilité, une signature littéraire.
Néanmoins, en filigrane, malgré le contexte captivant, malgré toutes les qualités intrinsèques de ce roman, ma " béatitude " n'est pas au summum. Peut-être du fait d'une narration qui fonctionne par ellipse, ou par d'incessants flash-back nichés dans chaque chapitre, contrariant ainsi la fluidité de l'ensemble ? Peut-être vu l'usage d'un vocabulaire spécifique au moyen-âge, gênant une lecture épanouie au point de relire certains passages trop abscons à saisir d'un premier jet ? Au point de percevoir plus l'historienne que la romancière ! Manque-t-il un souffle, une dynamique, un peu de chair autour de nos chères béguines afin d'augmenter l'empathie, vis-à-vis d'elles ? Sans doute un peu de tout cela à la fois, ou suis-je un rien trop tatillon ?
La nuit des béguines est un roman aux indéniables qualités, nous narrant un pan de l'histoire peu connu. Un livre tout en noirceur et en jaillissement de lumière, un petit feu d'espérance au sein d'un monde de ténèbres. A lire donc !