1 juin 2018

" Se perdre "   de Annie Ernaux   8/20
      
      Cette authentique histoire de passion ravageuse se déroule à Paris, entre 1988 et 1989. L'homme, 35 ans, de nationalité russe, est marié, il travaille à l'ambassade de l'URSS sans plus de précision. S'agit-il d'un diplomate, d'un apparatchik ou encore d'un membre du KGB ? Peu importe, il est le mâle dans toute sa splendeur ! D'ailleurs même son nom reste mystérieux : un certain monsieur S, Sergueï ?

      La femme, c'est Annie Ernaux, ayant fait de sa vie le sujet de tous ses livres, elle nous livre ici, jour après jour, les pages de son journal intime concernant l'aventure exclusivement sexuelle qu'elle eut avec S pendant plus d'un an. A l'époque l'auteure à 48 ans, est divorcée, mère de deux enfants et gagne sa vie en temps qu'écrivaine. Elle vit sa rencontre avec S comme une liaison incandescente, recherchant la perfection dans l'acte charnel, comme un aboutissement ultime de son corps. Quant à lui, il ne voit dans ces accouplements qu'une jouissance occasionnelle, avec, ce qui fait tout son intérêt à ses yeux : une femme de lettre reconnue, de surcroît une française experte dans l'art de l'amour. Elle est folle de lui, si folle que pendant toute cette liaison, elle ne pourra écrire autre chose que ses sentiments sur ce qu'elle vit avec S. De plus, fascinée depuis toujours par l'âme slave et la littérature russe, c'est peut-être plus le pays, à travers cet homme, qui l'attire inconsciemment.

     Ce roman est un empilement de sentiments diffus et divers qui la traversent, au propre comme au figuré. Avec une précision toute chirurgicale elle décrit l'état de déréliction dans lequel elle tombe quand il n'appelle pas pendant plusieurs jours, jusqu'à l'extase absolue quand son amant annonce son arrivée imminente. La confession n'élude pas grand chose, sans décrire les scènes de sexe, elle en parle à froid avec des mots crus, mais rien de vraiment choquant. Si elle décide de nous dévoiler tout son ressenti, cela la regarde, cependant, ce qui est gênant, avant de devenir franchement lassant, c'est la répétition de son désir sexuel pour S. Cette répétition devient vite excessive et insupportable. Dès lors, comme dans une journée sans fin, tous les jours se ressemblent à l'identique, les variations sont si infimes que l'effet de recommencement s'en trouve encore amplifié, si c'était but recherché c'est réussi. Mais il faut s'accrocher pour atteindre la page finale, pour ma part j'ai décroché à la moitié : chaque jour étant un plagiat du précédant. Une lecture finale en zig-zag a confirmé mes soupçons.

      Avoir le besoin viscéral de retranscrire l'entièreté de ses sentiments, ses besoins les plus charnels, ses expériences passées, ses rêves et ses fantasmes peut avoir un sens en tant qu'acte de libération, de compréhension, telle une catharsis. Cependant, faut-il pour autant absolument tout révéler à son lectorat, sans le moindre travail non pas de lissage ni d’édulcoration, mais de dégrossissement, de débroussaillage. Sous la forme d'un roman autobiographique, cette narration serait devenue plus lisible, plus harmonieuse. Ce texte me donne l'effet d'un champ d'herbes folles, où la nature n’est livrée qu'à elle-même. A nous de nous débrouiller avec ce fatras d'accumulation similaire. Certes, l'expérience est menée dans sa totalité et dans sa brutalité, mais le lecteur doit-il supporter cela ?

      Ce qui me dérange également dans ce récit, c'est cette notion d'incontrôlabilité. Le corps d'Annie Ernaux semble voué à une pulsion d'une puissance infinie, comme aliéné, sans la moindre retenue, l'instinct animal domine, à des lieues de toute notion basique d'amour. Notre corps ne serait-il qu'une redoutable machine sexuelle... qui doit fonctionner coûte que coûte ? Plus de 5 000 ans de civilisation humaine pour s'avouer vaincu devant ce désir irréprimable de coït ! La bête en nous est-elle toujours la plus forte ?

      Ce récit, où une femme est éperdument amoureuse d'un homme qui ne voit en elle que son statut social, est-il véritablement intéressant ? Intéressant et utile ? Utile et passionnant ? Passionnant et indispensable ? A vous de le dire !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire